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groupes, et même, faire apparaître ceux que leur rareté ou leur cristallisation imparfaite n’avaient pas jusque-là permis d’apercevoir.

Les recherches de M. Margottet sont surtout dignes d’attention à cause de la délicatesse du procédé opératoire qu’implique la qualité du fondant employé. Pour en donner une idée, il nous suffira de décrire l’une de ses expériences, celle, par exemple, qui l’a conduit à la reproduction du sulfo-antimoniure d’argent, connu sous le nom d’argent rouge. Une masse obtenue par fusion et composée d’argent, d’antimoine et de soufre est réduite en poudre et introduite dans un tube de verre que l’on scelle à la lampe, après y avoir fait le vide. On chaude pendant trois ou quatre jours à la température d’ébullition du soufre, en laissant l’appareil se refroidir chaque nuit. L’opération terminée, on distille le soufre en excès; à mesure qu’il s’évapore, on voit poindre une cristallisation, et enfin, quand il a été chassé complètement, il reste une belle géode de cristaux transparens, d’un rouge rubis éclatant, identiques par leur composition et par leurs propriétés physiques à ceux des gisemens miniers.

Les expériences de M. Hautefeuille, dont il me reste à parler, sont plus remarquables encore que celles de ses émules du laboratoire de l’École normale. Le regretté maître qui en a été le témoin en était fier, comme si elles avaient été son propre ouvrage ; jamais l’habileté expérimentale n’a été poussée plus loin. Les minéraux qu’elles ont réussi à reproduire ont une importance toute particulière à cause du rôle considérable qu’ils remplissent dans la constitution des roches éruptives et aussi, à cause de la résistance qu’ils avaient opposée jusqu’alors à toutes les tentatives faites pour en obtenir artificiellement la cristallisation. Deux de ces minéraux, l’orthose et l’albite, appartiennent à la famille des feldspaths; c’est seulement en 1877 que leur synthèse a été réalisée. Le procédé employé consiste à chauffer à une température comprise entre 900 et 1,000 degrés un mélange d’acide tungstique et d’un silico-aluminate alcalin. Dans cette expérience, l’acide tungstique n’agit pas simplement comme fondant, il intervient dans des réactions compliquées dont les phases dépendent de la température. Il se comporte, en effet, comme un antagoniste de l’acide silicique, et, suivant l’intensité de la chaleur développée, tantôt il le déplace de ses combinaisons, tantôt il se laisse chasser par lui. De là vient que, suivant la manière dont l’opération est dirigée, on arrive à des résultats tout différens, et l’art de l’expérimentateur consiste précisément à éviter toutes les réactions autres que celles qui mènent au but proposé. Un chauffage de vingt jours consécutifs, attentivement surveillé et