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Encore moins que les chrétiens des deux rites, les juifs sont satisfaits du nouvel ordre de choses ; beaucoup vont même jusqu’à dire qu’ils sont moins heureux qu’avant l’arrivée des Autrichiens; ils prétendent que les soldats les maltraitent et que les officiers refusent de les faire respecter. Il est bien certain que la question juive actuellement soulevée dans toute l’Europe centrale et orientale et qui a pris notamment dans la vallée du Danube un caractère de gravité inconnue jusqu’alors n’est pas faite pour donner aux jeunes soldats de l’armée d’occupation des idées de tolérance vis-à-vis des Israélites, d’autant plus qu’à ceux de la Bosnie et de l’Herzégovine viennent s’ajouter chaque jour leurs coreligionnaires d’outre-Save, attirés par leur esprit mercantile vers ces nouvelles provinces à exploiter.

En effet, les juifs allemands et hongrois commencent déjà à envahir la Bosnie, et si l’on n’y prend garde, il adviendra là ce qui est arrivé dans les autres pays danubiens, où cette race laborieuse et entreprenante a accaparé par l’usure toute la richesse publique. On a beaucoup crié ces dernières années contre la Roumanie, et certains journaux ont voulu faire passer les Latins du Danube pour des gens égarés dans les ténèbres du moyen âge. Il y a là beaucoup d’exagération.

Pour quiconque examine la question sur place et sans parti-pris, il est évident que, dans ces pays privés de capitaux et dans lesquels une partie de la population est encore ignorante, la question juive est une question de premier ordre, et le gouvernement austro-hongrois l’a parfaitement compris pour la Bosnie et l’Herzégovine, puisqu’un des motifs qui l’ont engagé à interdire provisoirement toute vente de terre dans ces provinces est la crainte de la voir passer des mains de propriétaires besogneux ou pressés de réaliser pour se réfugier en pays musulmans, dans celles des Israélites, toujours prêts à avancer des écus à gros intérêts en échange d’une bonne hypothèque. Mais cette détense n’empêche pas les juifs de se répandre déjà dans les nouvelles provinces et d’y monopoliser tout le commerce, et on cite à ce sujet ce mot d’un riche beg de Serajewo, de la famille Capetanovitch, qui dit au général Philippovitch, lors de son entrée dans la capitale bosniaque : « Ton empereur n’a donc que des juifs pour sujets civils? Je vois bien, en effet, que l’armée est composée de chrétiens, mais tout le reste, n’est que juif. » Les juifs suivaient l’armée: de près, comme on le voit; aujourd’hui, ils inondent le pays.