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Faisant une minutieuse description de ce lieu terrible, il y envoie d’avance ceux qui ne viennent pas à la messe, ceux qui ne paient pas leurs cotisations pour le culte, ceux qui refusent de jeûner, etc. Ce qui me frappait le plus pendant ce pitoyable discours, c’était l’attitude de tout ce peuple ; elle ne prouve pas plus la vérité de ce qu’il croit que l’amour ne prouve la perfection de l’objet aimé ; mais les grandes amours comme les croyances profondes me semblent toujours saisissantes, et il y a de la foi, de la vraie foi ici.

A chaque instant, le peuple répond à l’officiant; à deux reprises, celui-ci, tourné vers les fidèles, psalmodie une longue prière slave que tout le monde accompagne à demi-voix[1]. Chaque fois que le mot Jésus est prononcé, même dans les sermons, tout le peuple répond : Merci! grâce à Jésus (Faljen, Jsus budi). A l’élévation, tout le monde tient les deux mains en l’air, les femmes avec leurs chapelets, dans l’attitude de l’adoration, et en se penchant, on entend le susurrement d’une prière générale ; pendant la messe, quand le prêtre élève l’hostie ou se prosterne devant elle, notamment avant le Pater, tous étendent les bras comme chez nous l’officiant qui dit l’Oremus. Cela se fait avec un ensemble, une dévotion qui n’a rien de grimé ; il y a eu une vingtaine de communians des deux sexes ; tous ces gens avaient l’air satisfait, mais nullement la mine béate et empruntée qu’on fait prendre trop souvent à nos premières communiantes. A la fin de la messe, avant la prière chantée pour l’empereur, le prêtre lit les ordres de l’administration : il a dit notamment ce matin que les candidats à la gendarmerie devaient se faire inscrire par lui ; que ceux qui n’avaient pas encore payé leurs impôts devaient le faire le plus tôt possible, parce que « Franz-Joseph » avait besoin d’argent, et que lui, curé, devant quitter la paroisse prochainement, ceux des paroissiens qui n’avaient pas encore payé leurs redevances devaient s’acquitter au plus vite ; et il nommait tous ces retardataires par leur nom et il indiquait le montant de ce qu’ils restaient devoir ; c’était réellement très topique.


Couvent de Goucia-Gora, le 25 mai.

... En quittant 41enitza, la route s’élève constamment pour passer de la vallée de la Bosna dans celle de la Lasva, un de ses affluens ; il y a dans cette côte de plusieurs lieues de longueur des points de vue magnifiques et qui valent ceux des pays les plus en renom ; le

  1. Ces prières ont lieu avant le Credo et avant la communion. Les fidèles disent tout haut avec l’officiant le Pater, l’Ave, le Credo et le Confiteor.