Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de familles turques aisées (mais n’appartenant pas à la caste des grands begs), se préparait à monter dans le train qui chauffait pour Brod ; elles vont à Constantinople ; il paraît que beaucoup d’autres se disposent à en faire autant. Si tous les Turcs s’en allaient ainsi, cela simplifierait beaucoup la question bosniaque, sans la résoudre tout à fait. Zeptche n’a rien de curieux ; nous profitons de ce que notre voiture d’étape se fait attendre pour aller dans les cafés et parcourir un peu la ville ; et c’est sans regret que nous la quittons bientôt, grâce à l’obligeance du commandant et des autres officiers chez qui, comme partout ailleurs, nous rencontrons une parfaite bonne grâce.

En sortant de Zeptche, la vallée continue à avoir une certaine largeur ; mais à partir de Begov-Khan (où se trouvent des eaux minérales), elle se resserre, et on arrive, peu après le relais de Orahovitsa, au défilé de Vranduk. C’est à Begov-Khan qu’a été assassiné M. Pérot, consul d’Italie, dont j’ai rencontré à Brod le meurtrier que l’on menait à Essek pour l’exécuter. Les Autrichiens, entrés en Bosnie le 5 août 1878, n’étaient alors arrivés qu’à Zeptche. M. Pérot, qui rejoignait son poste à Sérajewo, voulut, malgré l’état-major qui lui conseillait de suivre l’armée, passer outre, disant qu’il était en Bosnie depuis quinze ans, qu’il connaissait les habitans, qu’il n’avait rien à craindre d’eux… et il paya de sa vie cette témérité.

Vranduk, avec son défilé étroit et pittoresque, est la clé de la Bosna supérieure ; aussi les envahisseurs de la Bosnie y ont-ils toujours été arrêtés, qu’ils vinssent du sud, comme les Turcs au XVe siècle, ou du nord, comme tout dernièrement les Austro-Hongrois. On fait plusieurs kilomètres dans cette gorge, où il n’y a absolument de place que pour le fleuve, la route et le chemin de fer ; encore faut-il, en maint endroit, empiéter sur le rocher. Puis, la vallée s’élargit tout à coup pour former la belle plaine, bien cultivée et parcourue par de beaux troupeaux de moutons et de chèvres, où s’élève la petite ville de Zienitza, sous le pont pittoresque de laquelle se réunissent les ruisseaux de Vrazali et de Kotcheva, affluens de la Bosna.

Nous sommes logés à Zienitza à la cure catholique, où nous avons trouvé l’accueil le plus cordial ; le père franciscain qui est titulaire de cette cure a précisément plusieurs de ses confrères en ce moment chez lui, et parmi eux le supérieur du grand couvent de Goucia-Gora, près Trawnik, lequel veut bien nous offrir l’hospitalité de son monastère. Nous en profiterons bien certainement.

Je viens de voir des chrétiens, et je crois bien que c’est la première fois de ma vie que cela m’arrive. Ce matin, dimanche, j’ai assisté à la messe paroissiale de la cure de Zienitza. Tout devait me