Je donne ici cette grossière trad action, — à laquelle j’ai essayé de conserver quelque chose du rythme de l’original, — parce que cette chanson était, au moment de mon passage en Bosnie, une actualité, et qu’elle avait trait aux événemens récens qui venaient d’avoir lieu dans la presqu’île des Balkans; mais je n’aurais qu’à ouvrir certains vieux recueils de chansons bosniaques, que l’on rencontre encore çà et là, pour y retrouver, sous une autre forme, les mêmes idées et les mêmes sentimens, qui peuvent se résumer en deux formules : Espoir dans la Russie, haine du Hongrois et du Schwada (Allemand). Qui sait ce que pourrait produire ce sentiment, en cas de conflit armé, et ce que deviendrait, dans une guerre avec le grand empire slave, la monarchie austro-hongroise, qui compte, dans ses états-majors, 60 pour 100 de généraux appartenant à la race slave?
... Pour quitter le terrain brûlant de la politique et passer à un sujet plus gracieux, je vous dirai que le beau sexe de Techanj est cité pour sa vertu; c’est, paraît-il, un pays dans lequel fleurit la rosière et où l’on trouve à chaque pas des Baucis... avant l’arrivée de Jupiter. Cette prétention est, du reste, commune à toutes les villes de la province bosniaque, qui s’accordent, en revanche, à combler de leurs malédictions pudibondes la capitale Serajewo, cette Babylone de tous les vices et de toutes les hontes.
Quoi qu’il en soit de la vertu des dames de Techanj, ce pays partage, au point de vue social et agraire, le sort de toute la Bosnie. Les grands propriétaires sont ici : Hamri-Beg-Ajanovitch, Dervis-Beg Gjoulatchitch et Hamza-Beg-Gjoulatchitch. La famille du premier est venue d’Asie il y a quelque deux cents ans avec cent cinquante autres familles de soldats à qui le sultan donna des terres. Parmi eux, on cite la famille Capetanovitch, très nombreuse encore aujourd’hui. Ces descendans d’émigrans militaires ont même conservé le souvenir précis de leur lieu d’origine : c’est Amatia, dans le sandjak d’Anatolie. Quant à la famille Gjoulatchitch, la tradition la fait venir de Hongrie avec d’autres Magyars qui se seraient convertis à l’islamisme afin de prendre part à la curée des terres bosniaques lors des grandes concessions octroyées par les califes victorieux. Il n’y a là rien d’invraisemblable si l’on se rappelle la parenté ethnique et linguistique des Hongrois et des Turcs.
Tels sont, avec deux autres grands begs dont je n’ai pas retenu les noms, les richards de Techanj ; quant aux aghas, petits begs et nobles, propriétaires fonciers plutôt pauvres que riches, ils y sont, comme partout, assez nombreux. Parmi ces begs, Dervis est la bête notre des malheureux chrétiens, et on dit que ce seigneur turc employait plus que de raison la bastonnade comme moyen de persuasion, afin de remplir ses coffres et ceux de son bien-aimé maître et seigneur