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encore. Après la ruine de Techanj, les Impériaux allèrent jusqu’à Serajewo, où ils lancèrent quelques bombes ; puis ils remontèrent vers le nord.

C’est le dernier événement militaire dont Techanj fut le théâtre; aujourd’hui, et bien que la première bataille un peu sérieuse livrée aux Austro-Hongrois en 1878 ait eu lieu non loin de là, au défilé de Kosna sur la Bosna, la vieille capitale de l’Ussora vit en paix sous ses nouveaux maîtres, représentés par deux compagnies du 79e régiment d’infanterie, chargé aussi de garder toutes les étapes de la route depuis Brod jusqu’à Zeptché. Ce régiment, — comme l’indique du reste son nom (Jelacich), — est exclusivement croate. Tous les régimens d’infanterie slaves (16e, 53e, 70e, 78 et 79e) sont actuellement en Bosnie, ainsi que les uhlans (5e et 12e) croates. Il est tout naturel que l’on ait envoyé dans les deux provinces nouvellement occupées les régimens composés de congénères des Bosniaques et des Herzégoviniens, qui, parlant la langue du pays, avaient le double avantage de rendre l’occupation moins odieuse et l’installation plus facile. Mais n’est-ce pas la reconstitution pour ainsi dire forcée d’une armée slave? Les Magyars le craignent, et ils n’ont pas tout à fait tort.

Pour en revenir à Techanj, c’est une petite ville pittoresque, groupée au pied de son vieux château et dans laquelle les grecs orthodoxes sont nombreux et influens. Avant Kossovo, m’a-t-on dit, il n’y avait pas ici de quartier serbe; depuis cette mémorable défaite, de nombreux chrétiens grecs (Serbes et Albanais) sont venus s’y installer; et, en dépit des mesures vexatoires qui les obligeaient, par exemple, à ne bâtir leurs maisons que dans des carrières ou dans les plus mauvaises terres des faubourgs et qui leur interdisaient d’avoir des fenêtres du côté de la ville, ils ont prospéré, et le quartier grec contient aujourd’hui huit cents habitans.

Aussi ai-je été heureux de l’occasion qui s’est présentée pour moi de rendre visite au P. Théodor Slavecevitch Ilitch, le paroch de Techanj. C’est, sinon un martyr, au moins un confesseur, car il a pourri durant cinq années dans les prisons turques, un an à Banjaluka, deux ans à Serajewo et deux ans ici ; et il n’a été délivré qu’il y a quelques mois, lors de l’arrivée du général Philippovitch. Il était accusé de « tendances » de rébellion contre la domination turque! Wétait-ce pas adorable? Disons cependant, à la décharge de ses bourreaux, que, pendant ces cinq ans de tortures, ils ont permis à sa courageuse femme de rester à Techanj, attendant des jours meilleurs.

Le P. Hitch a le titre de doyen ; c’est un homme dans la force de l’âge, qui a une bonne maison et m’a bourré de café et d’eau-de-vie de prunes. La reconnaissance de l’estomac ne doit pas m’empêcher