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la main sur ses provinces slaves occupées par l’Austro-Hongrie en vertu du traité de Berlin. Comment, en effet, pourrait-elle rembourser cette dépense et tous les autres frais de l’occupation, qui s’élèvent déjà, à l’heure où j’écris, au bout de huit mois, à plus de 200 millions de florins ?

Quoi qu’il en soit de ses défauts de construction, ce tramway a bien servi l’armée envahissante, et c’est lui seul qui rend possible l’occupation de la Bosnie. Mais, en dehors de son utilité stratégique, il est certainement destiné à alimenter tout le commerce entre les anciens pays de la couronne de Saint-Étienne et les nouvelles provinces; et, remplacé par une voie plus large et à pente plus douce, il sera un jour une des grandes lignes du trafic entre l’Orient et l’Occident. Il n’est pas douteux, d’un autre côté, que l’établissement de cette voie ferrée de Brod, dans la direction de Serajewo et de Salonique, a fait perdre pour toujours à Agram l’espoir de devenir la tête de ligne du grand chemin de fer de l’Occident à l’Archipel. Les Hongrois, qui ont réussi à empêcher jusqu’ici la continuation sur Sissek de la ligne de Banjaluka à Novi, préparent maintenant l’aboutissement fatal à Buda-Pest de la grande route commerciale méditerranéenne à travers la presqu’île des Balkans, route qui passera par Brod, Serajewo et Novi-Bazar.

Déjà, depuis quelques jours, la ligne stratégique transporte les marchandises des particuliers, et parmi eux le principal est Rustem-Beg, le grand beg de Dervend lui-même, — les inventions diaboliques de ces mécréans de giaours ont parfois du bon ! — Dans quelques semaines, sans doute, les voyageurs pourront circuler librement de Brod à 41enitza, et quand la voie s’avancera jusqu’à Serajewo, les 250 kilomètres qui séparent cette ville de la Save seront franchis plus facilement que l’on n’allait autrefois de Brod à Dervend[1].

Le voyage, sur ce rudiment de chemin de fer, n’est pas moins accidenté aujourd’hui que la ligne elle-même. A chaque instant, le train s’arrête. Tantôt c’est la locomotive qui a besoin de faire de l’eau aux petits torrens qui coulent un peu partout et que l’on a captés là où ils coupaient la voie, sans se préoccuper de savoir si c’était ou non à une station; tantôt c’est une vache ou un porc qui barre la route et qui regarde bêtement le train arriver sur lui, sans se déranger et sans s’émouvoir des coups de sifflets désespérés de la locomotive; ici c’est une chaîne d’attache qui se rompt; là un pont que l’on a des raisons de croire peu solide ; plus loin, c’est un monsieur qui a perdu son chapeau, — comme cela m’est arrivé à

  1. Une dépêche insérée dans les journaux français du 8 octobre 1882, annonce que l’ouverture officielle de la ligne de Zienitza à Serajewo a eu lieu le 4 du même mois.