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aux Balkans, ravagée par les Goths, les Slaves de l’Ouest et surtout les Avares, qui la parcouraient impunément en y amoncelant les ruines et la dévastation, crut de bonne politique d’opposer barbares à barbares et de se créer des alliés intéressés à maintenir debout à leur profit le corps vermoulu de l’empire romain d’Orient. Il profita donc du désir d’expansion des tribus serbo-croates, qui lui firent alors des demandes de terre pour s’établir, et il leur concéda les pays conquis ou à conquérir sur les Goths et les Avares dans la Dalmatie, la Dardanie (Herztégovine actuelle), la Prévalitane (nord de l’Albanie), la Rascie (partie sud de la Bosnie), en un mot dans toute l’Illyrie occidentale. Cette concession devait convenir d’autant mieux aux tribus slaves à qui elle était faite que, depuis longtemps, leurs frères de race avaient, dans leurs incursions de pillage, appris le chemin de ces contrées où plusieurs avaient même déjà formé des colonies florissantes sous la suzeraineté des empereurs.

Les Croates, arrivés les premiers, s’emparèrent de la partie nord des pays concédés, et les Serbes occupèrent le sud. La vallée de la Narenta servait alors, comme aujourd’hui, de limite approximative à la domination des deux peuplades sœurs qui, conformément aux souvenirs de leur lieu d’origine, divisèrent immédiatement leur territoire en petites principautés ou joupanies, se groupant pour la guerre autour d’un grand joupan électif, sorte de généralissime de ces républiques aristocratiques.

Il semble que les chefs de cette espèce de confédération furent d’abord les rois de Dalmatie, puis ceux de Croatie: la situation plus avantageuse de leurs possessions, placées sur le bord de la mer, explique tout naturellement cette supériorité. Au Xe siècle, sous Sélimir, ban de Bosnie (ce titre avait remplacé celui de joupan), la lutte pour l’indépendance commença; elle se continua sous ses successeurs, et la Bosnie forma bientôt une principauté, puis, plus tard un royaume particulier, mais soumis plus ou moins à l’influence de ses différens voisins slaves de Serbie, de Dalmatie, de Croatie et de Rascie.

Quant à l’Herzégovine, elle subit aussi tout d’abord l’hégémonie des rois de Dalmatie et de Croatie, puis des bans de Rascie et de Bosnie. De 1091 à 1165, les Hongrois s’emparèrent de la Croatie et de la partie nord de l’Herzégovine. Puis, le roi serbe Stéphan Nemanja, s’en étant rendu maître en 1181, la donna à ses deux frères Constantin et Mieroslaw ; le fameux saint Saba, dont le nom remplit les légendes populaires des Slaves méridionaux, était le frère cadet de ces deux princes. Nous ne suivrons pas l’histoire confuse des Nemanja, leurs luttes avec les divers seigneurs ou princes du voisinage, leurs rapports éphémères avec Raguse et Spalato, leur