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propre. Ce n’est pas seulement, on le conçoit d’ailleurs, une question de mots. En transigeant sur un droit litigieux, les princes d’Orléans n’auraient fait qu’une affaire; en renonçant purement et simplement à une partie de leurs droits, ils se sont conduits en bons citoyens.

Mais il y a des esprits chagrins que rien ne satisfait. Quoi ! vous ne nous abandonnez que 37 millions en capital et, si l’on ajoute un compte d’intérêts indûment perçus, une soixantaine de millions! C’est une misère : il nous faut le reste, tout le reste. Nous savons, sans doute, que le domaine n’a pas droit au reste; mais, puisqu’il n’avait pas non plus de droit sur les autres millions que vous lui abandonnez, pourquoi ne pas lui laisser tout? C’est d’ailleurs un mécompte pour le domaine, qui détenait ces biens depuis vingt ans, qui s’y était attaché peu à peu et qui ne croyait pas s’en séparer. Si ces raisons ne vous touchent pas, c’est que vous êtes les plus avides des hommes. — Il faut une certaine hardiesse pour tenir un pareil langage à des propriétaires qui, dépouillés par un acte inique, renoncent définitivement et quoi qu’il advienne, dans un intérêt public, à recouvrer plus de la moitié de leurs biens. À ce compte, saint Martin lui-même aurait usurpé sa réputation; il n’a donné que la moitié de son manteau.

Avant la loi du 21 décembre 1872, M. Thiers, dont la maison venait d’être démolie par la commune, avait reçu du trésor une indemnité de 1,053,000 de francs. Depuis cette époque, les victimes du coup d’état du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale du 27 février 1858 ont reçu du trésor à titre de réparation nationale, des rentes incessibles et insaisissables d’un chiffre total de 8,000,000 de francs. Nous ne contestons pas le désintéressement de ces indemnitaires. Il y avait toutefois une différence entre eux et la famille d’Orléans, c’est que leurs pertes n’avaient pas enrichi le trésor. Or les princes de cette famille, si gravement atteints par le coup d’état du 2 décembre, ont avant tout résolu de ne pas demander un centime d’indemnité à ce trésor, dont les ressources s’étaient accrues à leurs dépens, et se sont bornés à reprendre ce qui n’avait pas été dissipé de leurs biens. C’est sur ces données que l’histoire établira son verdict. Elle dira, non-seulement que les princes d’Orléans ont usé de leur droit, mais qu’en n’exerçant pas tout leur droit ils ont rempli tout leur devoir.


G. DE LA MAGDELEINE.