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tribunaux, mais le leur déférer tout entier. L’assemblée se bornait alors à déclarer le titre du domaine illégal et l’annulait. Les tribunaux avaient à déduire non pas quelques conséquences, mais toutes les conséquences juridiques de cette annulation. Or le contre-projet ne l’entendait pas ainsi et débutait en réglant définitivement la situation des tiers. Pourquoi? Cette question n’était pas plus « législative » que les autres. Avait-on vendu la chose d’autrui? Les ventes de la chose d’autrui ne devaient-elles pas être annulées conformément à l’article 1599 du code civil? Aux juges de le décider. Mais M. Pascal Duprat ne voulait pas le leur laisser décider. Annuler les ventes ! Faire entrer cette autre classe de biens dans le patrimoine de la famille dépossédée ! Exposer le domaine au recours des acquéreurs évincés! L’appel au pouvoir judiciaire était admirable tant qu’il profitait à l’état contre les princes, mais détestable s’il profitait aux princes contre l’état. Le contre-projet opposait donc, avant tout, cette barrière aux tribunaux de droit commun et au droit commun lui-même. Après quoi, les princes plaideraient. Mais puisque le pouvoir législatif déterminait la situation respective des tiers et des anciens propriétaires entre lesquels d’innombrables procès auraient pu s’engager, il était absolument illogique de ne pas le laisser déterminer la situation respective des anciens propriétaires et de l’état, que ne divisait aucune question litigieuse.

Les questions litigieuses, le contre-projet allait seul les susciter, et M. Duprat ne s’en était pas aperçu, au grand préjudice de l’état. Les droits acquis aux tiers devaient être respectés, c’est-à-dire l’annulation des ventes ne serait pas prononcée. Le pouvoir législatif aurait seulement annulé le titre du domaine, détenteur illégitime et, par conséquent, astreint à la restitution. Ce jalon posé, les princes et l’état étaient renvoyés, pour toutes les questions à résoudre, devant des juges. On allait donc se retrouver sur le terrain du droit pur devant des tribunaux chargés d’appliquer les lois. Eh bien ! le contre-projet ne défendait pas l’état contre deux séries de revendications. Il laissait d’abord les princes, expropriés sans indemnité, libres de réclamer une indemnité d’expropriation ; il n’avait songé qu’aux acquéreurs et maintenait le vendeur sous l’empire du droit commun ! Il permettait ensuite à la famille d’Orléans de soutenir avec beaucoup de vraisemblance que le domaine avait été de mauvaise foi, c’est-à-dire avait connu les vices de son titre (art. 550 du code civil; et, par conséquent, de lui réclamer tous les fruits perçus (ou leur valeur) depuis 1852. Il n’y avait, au demeurant, que ces deux sortes de procès à engager, la restitution des biens eux-mêmes ne pouvant susciter un débat judiciaire. On exposait, en vérité, le trésor et les contribuables à un grand péril : les princes d’Orléans ne pouvaient pas s’associer au contre-projet.