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du 3 mai 1841 à exiger de l’état, qui nous a expropriés, une juste indemnité ; mais le trésor est aux prises avec des difficultés financières et nous ne voulons pas qu’il nous paie une indemnité sur les deniers des contribuables. Nous sommes des Capétiens, nous ne l’avons pas oublié ; nous savons que nos aïeux ont longtemps gouverné ce pays et que l’ancienne constitution française nous classait parmi les « privilégiés. » Nous ne revendiquons plus qu’un privilège : celui de nous mettre, dans l’intérêt général, non plus au-dessus, mais au-dessous de la règle commune. Le domaine nous délaissera ce qu’il détient encore des biens compris dans la donation du 7 août 1830; pour le surplus, nous n’exercerons aucun des droits qui appartiennent à tous les citoyens. — Pour soutenir qu’un tel langage est celui de gens cupides, il faut beaucoup de mauvaise foi; pour le croire, beaucoup de crédulité.

Cependant M. Lepère demanda, le 22 novembre 1872, que la discussion du projet fût ajournée. Il rappela que, sur les biens confisqués, 10 millions avaient été alloués aux sociétés de secours mutuels, 10 millions affectés à l’établissement d’institutions de crédit foncier dans certains départemens, 5 millions à l’établissement d’une caisse de retraite au profit des desservans les plus pauvres, etc., le surplus étant réuni à la dotation de la Légion d’honneur « pour le revenu en être affecté » annuellement aux légionnaires et aux porteurs de la médaille militaire. Mais on s’était aperçu tout de suite que beaucoup de ces biens ne trouveraient pas immédiatement des acquéreurs; on reconnut en outre qu’une gestion d’immeubles était, pour la Légion d’honneur, un pesant fardeau et qu’il valait mieux lui donner des rentes : un décret du 27 mars 1852 autorisa donc le ministre des finances à aliéner, par une audacieuse interprétation de la loi du 7 août 1850[1], des bois de l’état jusqu’à concurrence de 35 millions, et affecta le produit des ventes aux dotations énumérées par le décret du 22 janvier. En outre le même ministre fut autorisé à faire inscrire au grand livre une rente de 500,000 francs, et cette inscription de rente fut remise à la Légion d’honneur en remplacement des biens qui lui avaient été attribués par le même décret. Or M. Lepère raisonnait ainsi : Puisque le domaine, pour les aliénations faites en vertu du décret du 27 mars, mais en conséquence du décret de janvier, s’est appauvri de 35 millions, il faut diminuer d’autant le montant des restitutions. Le gouvernement

  1. Loi du 7 août 1850, art. 12. « Le ministre des finances est autorisé à aliéner, à partir du 1er janvier 1851 et dans le délai de trois années, des bois de l’état jusqu’à concurrence de 50 millions. Les conseils-généraux des départemens où les bois sont situés devront, avant l’aliénation, constater par une délibération leur adhésion à la vente. » Art. 13. « Le produit des ventes de bois sera versé au trésor, en atténuation de ses avances pour le compte de la dette flottante. »