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été résolue par des lois ordinaires à chaque changement de règne. Cette prétendue loi fondamentale est donc une pure chimère, et plier sous ce joug des lois régulièrement votées par les pouvoirs publics, c’est trouver un moyen commode de substituer l’arbitraire à la loi elle-même. Il n’y a plus de bornes à cet arbitraire et l’ordre fait place au chaos s’il suffit, pour destituer le législateur et mettre son œuvre à néant, de déclarer qu’il a voté sous l’empire « des circonstances. »

Enfin la loi de 1832 serait entachée de rétroactivité, « contrairement à tous les principes, « et, par conséquent, aux termes du décret, radicalement nulle. Nous répondons d’abord, avec tous les jurisconsultes, que l’article 2 de notre code civil ne renferme point un principe constitutionnel, une règle prescrite au législateur lui-même, mais seulement une règle tracée aux tribunaux, et que, si une loi est expressément rétroactive, c’est-à-dire si le législateur a déclaré vouloir régir les faits antérieurs, cette loi n’en est pas moins obligatoire. Mais l’auteur des décrets se trompe en fait comme en droit. La loi de 1832 aurait eu un effet rétroactif si, jusqu’à cette époque, d’après la législation en vigueur, à la date du 7 août 1830, les biens donnés par le duc d’Orléans à ses enfans avaient dû être réputés biens de l’état en vertu de la dévolution. Mais nos lecteurs savent qu’aucun obstacle légal n’en avait, dès le 7 août 1830, empêché la transmission. Le législateur de 1832 devait néanmoins prendre la parole et l’a prise pour deux raisons. D’abord cette question avait été réglée expressément, depuis 1789, pour chaque règne; en 1790 et 1791, en 1810, en 1814, en 1825 : si le gouvernement de juillet s’était écarté de ces précédens, on l’aurait accusé d’avoir dérobé ses actes au pouvoir législatif et fui le contrôle des chambres. En outre, s’il était inutile d’abroger la loi de 1825, spéciale au règne de Charles X, il était nécessaire de la remplacer : il appartenait au pouvoir législatif d’expliquer pourquoi l’ancienne maxime avait cessé d’être en harmonie avec nos institutions politiques et de donner lui-même au pays la formule du droit moderne.

Aussi quand ces critiques, plus tard dirigées par l’auteur des décrets de janvier contre la loi de 1832 furent présentées pour la première fois à une chambre française par Jules Favre, auteur d’une proposition qui réunissait au domaine tous les biens de Louis-Philippe, y compris les biens donnés en 1830, le comité des finances de notre seconde assemblée constituante lui répondit, le 10 octobre 1848, par l’organe de Berryer, son rapporteur : « Si de pareils argumens étaient accueillis contre une loi votée dans les formes constitutionnelles, tous les droits réglés par la législation pourraient, à chaque changement de gouvernement, être remis en question, et, sur toutes les matières, il faudrait attribuer un effet rétroactif aux décisions législatives de tout pouvoir nouveau... La loi de 1832 n’existât-elle