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L’édit de Moulins le lui permettait; aussi ces lettres furent-elles vérifiées sans opposition au parlement de Bordeaux le 7 mai 1590. Mais le parlement de Paris, séant à Tours, interprétant autrement une loi qui n’avait pourtant rien d’ambigu, ne voulut pas les vérifier et ne déféra pas même aux lettres de jussion qui lui furent adressées le 8 avril et le 29 mai 1591. Quoique ce parlement se fût, en cette circonstance, arrogé dans un intérêt politique le droit d’ajouter à la loi, son obstination désarma le prince, qui céda, mais qui mit plus de dix ans à céder. Le domaine privé fut réuni au domaine de la couronne, mais seulement par un édit de juillet 1607. Henri IV, dans cet édit, se fondait sur de nombreuses réunions expresses faites par ses prédécesseurs ; il parlait du saint et politique mariage qu’il avait contracté avec la couronne de France et révoquait ses lettres-patentes de 1590. « En ce faisant, disait-il, déclarons les duchés, comtés, vicomtes, baronnies et autres seigneuries mouvantes de nostre couronne, ou des parts et portions de son domaine, tellement accrues et réunies à iceluy que dès lors de notre avènement à la couronne de France, elles sont advenues de mesme nature et condition que le reste de l’ancien domaine d’icelle. » Encore l’édit, au lieu de poser, comme l’ordonnance de Moulins, une règle fondamentale en statuant pour l’avenir, ne statuait-il que sur un fait particulier : la réunion du domaine d’Henri de Bourbon au domaine de la couronne.

Toutefois le parlement de Paris défendit avec ténacité sa jurisprudence et finit par l’ériger en maxime d’état. Enjubault va beaucoup trop loin, à coup sûr, en affirmant dans son rapport sur la loi du 22 novembre 1790 « qu’on abjura comme autant d’erreurs tout ce que la tradition pouvait opposer de contraire. » Mais si quelques domanistes, comme François de Paule Lagarde, dans son Traité historique des droits du souverain en France, publié en 1753, soutinrent encore, non sans preuves ni documens à l’appui la distinction d’un domaine royal incorporé à la couronne et d’un domaine privé, « composé des terres, seigneuries et biens qui adviennent journellement au roi régnant par acquisitions, donations et autres titres particuliers, » Lefebvre de La Planche écrivit dans son classique Traité du domaine : « Toute distinction entre le domaine public et le domaine privé (du roi) est inconnue aujourd’hui : on ne fait aucune différence entre le domaine qui appartient au public et celui qui appartient au roi, et la plupart des juristes embrassèrent son avis. Telle était l’opinion commune à la veille de la révolution française.

Au demeurant, c’était logique. Omnia sunt principis, avait dit l’archevêque Juvénal des Ursins aux états-généraux de 1468. « L’état, c’est moi, » répéta plus tard en bon français le petit-fils d’Henri IV.