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arrive à cette situation d’aujourd’hui qui peut se résumer en quelques mots. Le déficit est dans le budget ordinaire de 1882, on en convient, et il sera, malgré tout, on peut le craindre, dans le budget ordinaire de 1883. Pour le budget extraordinaire, même en se défendant de nouvelles entreprises ou en ralentissant les travaux engagés, il n’y a pas d’autre moyen, à ce qu’il paraît, que de recourir à la dette flottante, qui est déjà démesurément surchargée, qui atteint 2 milliards, de sorte que tous les ressorts sont tendus et presque violentés à la fois. Après cela, qu’on s’efforce de nous rassurer, qu’on nous répète sans cesse que rien n’est en péril, que c’est tout au plus un moment difficile à passer, que le pays garde d’inépuisables ressources de travail et d’industrie, c’est vrai, sans doute, jusqu’à un certain point. C’est vrai, en ce sens que la France reste toujours la France, qu’elle a assez de vigueur native pour tenir tête à des difficultés réelles, même pour réparer les erreurs dont elle souffre ; mais, ce qui n’est pas moins vrai, c’est que, depuis quelques années, elle a été mal gouvernée, et lorsque M. le ministre des finances assure qu’il y a lieu de réfléchir, lorsque M. le rapporteur du budget dit que ce qui se passe aujourd’hui est un avertissement, ces paroles n’auraient aucun sens si elles ne signifiaient qu’il faut changer de conduite dans la politique comme dans les finances. Il faut en finir avec les jactances de parti, avec les passions agitatrices, avec tout ce qui a jeté le trouble dans le gouvernement moral comme dans l’administration économique du pays. Il faut se décider enfin, si l’on veut compter sur l’avenir du régime qu’on défend, à faire la république pour la France, non une France pour certains républicains, et c’est la meilleure manière de répondre aux dénigremens, aux frivolités ou aux dédains des critiques étrangers qui se chargent si généreusement de faire notre réputation en Europe.

Il y a aujourd’hui de tels désordres d’idées, de telles confusions d’esprit que tout semble interverti, qu’il ne reste plus aucun sentiment de la vérité et de la mesure dans le jugement des choses et des hommes. Parce qu’on a la majorité, on se croit tout permis. On dispose du budget, des faveurs de l’état, des hommes publics dans des vues et des intérêts de parti ; on élève des statues à des inconnus, on crée de faux grands hommes, on barbouille les plaques de coins de rues et de boulevards du nom de quelque vieux factieux, sans discernement et sans choix. L’étiquette républicaine, on le croit du moins, est un titre universel et supplée à toutes les illustrations. On finit par créer un panthéon assez vulgaire.

Un homme qui a eu une renommée retentissante de tribun et qui a été mêlé un moment à une des crises les plus graves d’autrefois, M. Louis Blanc, vient de mourir ; il s’est éteint doucement, simplement dans une ville du Midi, d’où il a été ramené à Paris. Aussitôt le gouvernement s’est empressé de demander aux chambres un crédit pour