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ministre des finances ne pouvait certes parler plus honnêtement, et si quelque chose est de nature à rendre plus saisissante la nécessité d’une sagesse sévère, méthodique, c’est le système qui a été suivi jusqu’ici, qui a conduit à la situation où l’on se trouve aujourd’hui.

On ne peut, en effet, imaginer rien de plus étrange, de plus caractéristique que la manière dont se sont trouvés engagés tant de travaux, tant d’entreprises, qui retombent maintenant de tout le poids de sommes colossales sur les finances, sur le crédit public. Exemple : il y a quatre ans à peu près, M. de Freycinet proposait ce fameux plan qui embrassait tout un ensemble de travaux, chemins de fer, canaux, réparations de ports, et qui devait coûter quatre milliards. Quatre milliards, c’était certes déjà beaucoup dans la situation de la France, au lendemain des rançons de la guerre, et les hommes de quelque prévoyance sentaient bien le danger ; ce n’était rien encore cependant. À peine voté, le budget des grands travaux et de l’imprévu s’est développé de toute façon. Tout le monde s’est jeté sur l’opulent butin, toutes les influences locales et électorales se sont déployées ; chacun a voulu avoir son chemin de fer, surtout à la veille des dernières élections. Les lignes se sont multipliées, les travaux ont été engagés sur une foule de points à la fois, sans esprit d’ensemble ni de suite, uniquement pour satisfaire des intérêts ou pour capter la popularité, et en peu de temps toutes les prévisions ont été dépassées. Ce n’est plus maintenant 4 milliards qu’il faudra, si l’on veut aller jusqu’au bout, c’est 9 milliards, peut-être plus, on ne le sait pas au juste, tant on a procédé avec prévoyance ! Autre exemple : les dépenses de l’enseignement primaire ont pris depuis quelques années une importance fort légitime, sans doute, en principe, mais qui commence à devenir singulièrement démesurée. On a créé, toujours en 1878, une « caisse des écoles » destinée à aider les communes par des subventions, par des prêts, pour la construction de leurs maisons d’enseignement. Cette caisse a été dotée d’un fonds de 220 millions, qui devait être dépensé en sept ans, à partir de 1881. Or les 220 millions sont déjà épuisés ; le gouvernement a demandé un premier supplément de 120 millions, et il n’y a que peu de jours M. le ministre de l’instruction publique avouait à la commission du budget qu’on ne s’en tirerait pas à moins de 700 millions, qui s’élèveront peut-être à 1,200, à 1,500 millions avec les procédés en usage. On s’est livré à un véritable gaspillage des ressources de l’état aussi bien que des ressources des communes, et M. le ministre des finances faisait l’autre jour le mélancolique aveu que, d’après tout ce qui lui revenait, on dépensait pour les écoles « des sommes infiniment supérieures à celles qui sont absolument nécessaires. »

C’est l’imprévoyance érigée en système, introduite dans le gouvernement des finances publiques et c’est ainsi que, par toutes les voies, on