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le turban insigne du pouvoir suprême. Cette ville était réellement à cette époque non-seulement la capitale, mais la ville sainte du Fouta-Djalon. Ce n’est qu’à ce moment (1789 ?) que le nom de Timbo apparaît dans les chroniques. Des Pouls idolâtres l’habitaient et l’appelaient Gongovi (grande maison). Ils s’étaient convertis depuis quelques années à la suite d’une expédition à laquelle avaient pris part les plus grands chefs qui changèrent le nom de Gongovi en celui de Timbo. Son nom lui vient du mot poul timmé, qui désigne un arbre magnifique, dont le bois est comparable, sinon supérieur à l’acajou et qui est très commun dans la vallée où s’élève cette ville. Almamy Ibrahima transporta le siège du gouvernement à Timbo, où le suivirent les principales familles, mais Fougoumba resta la ville sainte, la ville des talibés, et son influence politique ne périclita pas.

De cette époque date la prospérité des Pouls. L’almamy fit une nouvelle guerre aux Mandingues, venus au secours des Dialonkès, il soumit les pays de Koïn et de Colladé ; fit reconnaître son autorité par Alfa Hamadou-Sellou, chef du Labé, qui s’était déclaré indépendant ; il marcha ensuite vers la Haute-Gambie, imposa le Niokolo et força Maka, roi du Bondou, à se faire musulman et à prendre le titre d’almamy. D’après mes renseignemens, il ne serait pas allé dans le Kaarta, mais il y aurait envoyé des émissaires.

L’almamy Ibrahima était alors à l’apogée de sa puissance. Les Dialonkès avaient été forcés ou d’embrasser l’islamisme ou de se réfugier vers le littoral. Les Pouls, pour rappeler le souvenir des succès et de la rapidité des expéditions d’Almamy Ibrahima lui donnèrent le surnom de Sory, qui signifie le matinal. Ce nom devint populaire, et ses partisans prirent tous le nom de souria. Les victoires d’Almamy Ibrahima Sory et sa popularité ne tardèrent pas à inquiéter le conseil des anciens, qui craignit de perdre son influence et de s’être donné un maître.

Karamoko Alfa avait laissé des partisans, que l’on appelait les alfaia. C’étaient tous des marabouts fervens, et, bien que peu nombreux, ils avaient un certain pouvoir. À la mort de Karamoko, ils avaient essayé, mais sans succès, de faire nommer Alfa Salifou. Ce dernier ne se découragea pas, il fit plusieurs expéditions dans le Ouassoulou, mais des défaites successives l’obligèrent à revenir et il mourut à Timbo.

C’est à cette époque que Modi Maka, s’alliant aux alfaia, fit également proclamer comme almamy Abdoulaye Bademba, frère d’Alfa Salifou. Il y avait désormais deux almamys, l’un en activité, l’autre en disponibilité. Le temps pendant lequel ils devaient exercer chacun le pouvoir effectif fut laissé à la décision du conseil présidé par Modi Maka. Le plus sage, le plus aimé des citoyens,