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à aboyer avec frénésie devant la haie qui séparait notre jardin de la route.

— Il y a un homme là-bas, dit Lilian, qui a tout l’air d’un étranger, et Bingo a horreur des étrangers.

Sans me rendre compte de la cause de mon émotion, je me sentis près de me trouver mal.

— Ne craignez rien, cria le colonel au nouveau-venu, le chien ne peut vous mordre, à moins qu’il n’y ait un trou dans la haie.

L’étranger ôta son chapeau de paille, en disant avec un accent français très prononcé :

— Ah ! ce n’est pas à moi qu’il en veut, allez ! Je voudrais parler à M. Weatherhead.

Je compris qu’il était plus prudent de me rapprocher de la haie et de causer à voix basse avec le Français.

C’était un petit homme trapu, au teint coloré, aux yeux noirs,

— C’est moi qui suis M. Weatherhead, répondis-je avec le sang-froid d’un pick-pocket pris en flagrant délit. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Celui de me rendre mon chien, qui est dans votre jardin. Némésis se faisait enfin entendre par la voix, d’un propriétaire rival. Je me sentis d’abord désarçonné ; puis, ayant repris mes aplombs, je répondis :

— Je crois que vous faites erreur ; ce chien n’est pas à moi, mais à l’un de mes amis.

— Je le sais, risposta-t-il ; il s’agit d’une autre méprise.

— En tout cas, ce n’est pas mon affaire, puisqu’il n’est pas à moi, mais bien à ce monsieur que vous voyez d’ici, dis-je en indiquant le colonel. — Je sentais que je devais sans tarder mêler son nom à l’affaire.

— Je vous répète que vous vous trompez, reprit le Français d’un ton bourru ; ce chien est mon chien, je n’en démordrai pas ; c’est bien ici que l’on m’a envoyé. C’est bien votre nom, n’est-il pas vrai ? ajouta-t-il en me montrant ma carte, celle que j’avais eu la sottise de laisser entre les mains de Blagg. Le vieux coquin n’avait pas tardé à s’en faire une arme, pour gagner double récompense en mettant immédiatement le véritable propriétaire sur ma piste. Je me décidai a appeler le colonel à la rescousse.

— De quoi s’agit-il ? s’écria-t-il, en ne faisant qu’un bond de sa place jusqu’à moi. — Tous les autres le suivirent tour à tour. Le Français salua chacun poliment et dit :

— Bien fâché de vous déranger, mais voici ce qui m’amène : je vous affirme, foi d’honnête homme ! que ce caniche est à moi. Or, quand je le réclame à monsieur comme mon bien, il prétend que