Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
CANICHE NOIR

Je me propose de raconter, sans supprimer ni altérer un seul détail, l’épisode le plus humiliant et le plus pénible de ma vie ; j’ai pris ce parti, non que j’y trouve le moindre plaisir, mais en vue de plaider les circonstances atténuantes (ce que je n’ai pu faire jusqu’à présent).

En thèse générale, je suis convaincu que, dans toute affaire un peu louche, rien n’est moins propre à rétablir une réputation compromise que de faire l’apologie de sa conduite. Mais, dans cette conjoncture, il est une personne devant qui il m’est à jamais interdit de me justifier de vive voix, même si j’en trouvais l’occasion. La mauvaise opinion qu’elle a de moi n’ayant plus de progrès à faire, ce récit ne peut aggraver ma situation ; c’est à peine, d’ailleurs, si j’ose me flatter qu’il lui tombe jamais sous les yeux, et qu’après l’avoir lu, elle se demande si j’étais, en réalité, un scélérat aussi retors, un hypocrite aussi subtil que j’ai pu le lui paraître. Cet unique espoir de réhabilitation me rend indifférent à toute autre considération ; j’expose loyalement à la risée du monde des lecteurs mes torts et ma honte, parce qu’en le faisant, je cours la chance de me justifier dans l’esprit de cette seule personne. Cet aveu fait, je vais sans plus tarder commencer ma confession.

Je m’appelle Algernon Weatherhead : je dois ajouter que j’appartiens aux fonctions publiques, que je suis fils unique et que je vis avec ma mère. Nous habitions Hammersmith jusqu’à l’époque où