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d’envoyer toute son eau d’évaporation au courant ascensionnel des tropiques, l’axe méditerranéen coïncidant avec ce courant recevra à l’état de pluie l’eau ravie à toutes les régions voisines. Les fleuves aujourd’hui à demi taris et la dépression aralo-caspienne, coulant à pleins bords, grossis à chaque pas de nouveaux tributaires, remplissant leurs cuvettes intérieures, creusant de profonds sillons dans les seuils qui les séparent, s’uniront dans une artère commune qui, franchissant le dernier isthme de Manicht, viendra rouler ses eaux dans la Mer-Noire et de là dans la Méditerranée, où elles se réuniront au produit de tous les grands fleuves africains.

En comptant sur un écoulement moyen de 0m,40 par mètre carré, très probablement dépassé par le débit de l’Amazone, notre grand fleuve méditerranéen, au lieu d’emprunter comme aujourd’hui 140,000 mètres à l’Océan, lui en restituerait plus de 300,000 par le détroit de Gibraltar, autant que lui en apportent dans l’état actuel les fleuves réunis du monde entier. Ce n’est pas seulement en eaux courantes, mais en troubles charriés, en limons, que s’accroîtrait le débit des fleuves méditerranéens. De larges deltas s’épanouiraient à leurs embouchures, comblant rapidement les dépressions intermédiaires, les bassins intérieurs de la Mer-Noire et de ses annexes, envahissant peu à peu la grande cuvette centrale, jusqu’au jour où ils l’auraient entièrement comblée d’une nouvelle formation de terres basses et marécageuses, au milieu desquelles un fleuve central, trois ou quatre fois plus grand que l’Amazone, encaisserait profondément son lit sinueux, estuaire commun vers lequel convergeraient d’innombrables tributaires.

Combien de milliers d’années ou de siècles faudrait-il au travail des fleuves pour opérer ce gigantesque comblement ? La question importe peu : le temps ne compte pas en géologie. L’œuvre finale s’accomplirait dans des conditions analogues à celles qui se sont produites ailleurs, et il nous est même permis de signaler une circonstance qui se réaliserait probablement et dont la vraisemblance peut nous donner la clé d’un phénomène géologique bien connu. Incessamment refoulé vers l’amont par le dépôt sans cesse croissant des limons que le fleuve asiatique accumulerait à son embouchure, le Nil serait très probablement dévié dans la Mer-Rouge. Mais entre ces deux grands fleuves ayant dès lors des embouchures principales distinctes, continuerait à subsister un canal de trop plein, une voie d’eau analogue à celles qui, dans le Nouveau-Monde unit par le Cassiquare le courant de l’Amazone à celui de l’Orénoque.


V.

Ignorant des intentions de la Providence à l’égard du monde physique, l’homme est en général assez porté à les rapporter à ses