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gouvernement ; mais dans une république démocratique il aboutirait inévitablement à l’impuissance ou à l’anarchie. Les résolutions improvisées et les incessantes contradictions d’une chambre non dirigée et complètement livrée à elle-même feraient tomber le régime dans le discrédit et sous le ridicule. Au reste, comme il est probable que la théorie de Thornton continuera à être appliquée en France pendant quelque temps encore, on pourra juger l’arbre d’après ses fruits.

Comme on le sait, la constitution des États-Unis a un autre moyen d’échapper aux inconvéniens du parlementarisme. Les ministres, nommés par le président, ne relèvent pas des chambres, où ils n’ont pas le droit de pénétrer, même pour défendre leurs projets. Le gouvernement de cabinet n’existe donc en aucune façon en Amérique. Le mécanisme gouvernemental diffère ainsi totalement de celui de l’Angleterre et des nôtres. Les chambres et les ministres agissent dans des sphères complètement séparées, et ils n’ont pour ainsi dire aucune action les uns sur les autres. Un vote du parlement ne peut renverser le ministère ; à vrai dire, il n’y a que des secrétaires d’état dépendant du président.

Ce système, si opposé à toutes nos idées sur le régime représentatif, présente cependant de nombreux avantages. Le président peut choisir comme ministres les plus aptes à en remplir les fonctions, sans avoir à tenir compte des exigences des groupes et des intrigues parlementaires. Les ministres, n’étant pas absorbés par les soins incessans nécessaires en Europe pour conserver une majorité, ont le temps de s’occuper des affaires du pays. Ils peuvent compter sur une durée de quatre ans et peut-être de huit ans, si le président est réélu, au lieu d’être renversés tous les six mois, comme en France et en Italie. Ils ne sont pas à la merci des exigences des députés, car ceux-ci ne peuvent les renvoyer. Les luttes parlementaires n’agitent guère le pays, car les discours prononcés dans les chambres sont lus comme des morceaux d’éloquence ou des dissertations instructives qui éclairent le public, mais qui, n’aboutissant pas à des votes changeant la direction des affaires, ne passionnent pas l’opinion. La souveraineté du peuple se manifeste de temps en temps, et elle est alors sans contrôle, car le peuple nomme tous les fonctionnaires ; mais, dans l’intervalle, ceux qu’il a choisis peuvent gouverner dans la limite des pouvoirs qui leur sont confiés.

Je trouve encore aux États-Unis un autre mode de gérer les affaires publiques qu’on pourrait utilement imiter en Europe. Certains services, — et particulièrement celui que l’on considère là-bas, et avec raison, comme le plus important de tous, l’instruction du peuple, — sont administrés non par des ministres dépendant des fluctuations