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innombrables agens de l’administration répandus sur toute la surface du pays transformés en courtiers électoraux, par la nécessité de conserver la majorité au parti qui gouverne. L’électeur, dit-il, vote trop souvent plus en raison des avantages qu’il attend que des convictions qui l’animent. Le député, à son tour, devient le très humble serviteur de ses commettans. Il soigne leurs affaires, grandes et petites, place leurs fils et fait volontiers les emplettes de ces dames dans la capitale. Dans les ministères il a son compte-courant : à son passif, comme dettes, sont portées toutes les nominations et toutes les faveurs qu’il obtient ; à son actif tous les votes favorables au gouvernement qu’il émet. Ce règlement des obligations réciproques paraît si avantageux que l’administration fait comprendre que le député est en tout l’intermédiaire obligé. Toute demande, pour être examinée, doit être accompagnée de la recommandation du député, et c’est lui qui apprend tout d’abord qu’elle a été accueillie, afin qu’il puisse s’en faire un mérite auprès de ses électeurs. À la veille du scrutin, dans leurs circulaires, les députés ne se font pas faute d’invoquer les services rendus et de faire entrevoir tous les avantages que leur influence fera obtenir : ponts, canaux, routes, chemins de fer, écoles, subsides de toute espèce. De cette façon, l’universelle ingérence de l’état et les places sans nombre qu’elle crée, deviennent un instrument de parti et la dépouille opime que se partagent les vainqueurs. On sait qu’aux États-Unis, ce système était un droit reconnu : les deux sénateurs de chaque état appartenant au parti qui arrivait au pouvoir disposaient de toutes les nominations que l’exécutif avait le droit de faire dans l’état qu’ils représentaient.

M. Guizot définit dans son langage élevé ce fléau des influences qu’on lui a si amèrement reproché et auquel il n’a pu se soustraire. Il s’imaginait, à tort, qu’il n’existait ni aux États-Unis ni en Hollande ni en Belgique et il s’affligeait de le voir régner en France : « Quand le pouvoir supérieur est chargé à la fois de gouverner avec la liberté et d’administrer avec la centralisation, quand il a à lutter au sommet pour les grandes affaires de l’état et en même temps à régler partout, sous sa responsabilité, presque toutes les affaires du pays, deux inconvéniens graves ne tardent pas à éclater : ou bien le pouvoir central, absorbé par le soin des affaires générales et de sa propre défense, néglige les affaires locales et les laisse tomber dans le désordre et la langueur ; ou bien il les lie étroitement aux affaires générales, les fait servir à ses propres intérêts, et l’administration tout entière, depuis le hameau jusqu’au palais, n’est plus qu’un moyen de gouvernement entre les mains des partis politiques qui se disputent le pouvoir. Condamnée à porter à la fois le fardeau de la liberté politique