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Entrez dans n’importe quelle famille et vous verrez que des décisions des pouvoirs publics dépend l’un ou l’autre de ses intérêts : dispense ou congé d’un milicien, examens, nominations, application d’un tarif, ouverture d’une route, primes et faveurs de toute sorte. Ce que l’on appelle le gouvernement tient donc en ses mains le sort actuel ou l’avenir de la plupart des citoyens.

Cette colossale machine marchera-t-elle vite ou lentement et dans quelle direction ? Inclinera-t-elle à gauche ou à droite ? De quelles idées, de quelles passions, peut-être de quelles rancunes se fera-t-elle l’instrument ? C’est le vote de la chambre, le hasard du scrutin, parfois une ou deux voix de majorité qui en décident. Quand l’état absorbe à ce point les intérêts sociaux et pour ainsi dire la vie même de la nation, il est monstrueux que tout cela soit soumis aux fluctuations incessantes des luttes parlementaires. Rien de semblable n’existe dans les pays auxquels nous avons emprunté es formes de notre régime constitutionnel, ni en Angleterre, ni aux États-Unis. Déjà cependant, en Angleterre, depuis que les attributions du pouvoir central se sont étendues, le parlement succombe visiblement sous sa tâche, (chaque année, M. Gladstone constate avec une éloquente tristesse la stérilité des sessions où son infatigable activité n’aboutit à rien. Récemment encore il disait que la dernière n’avait été que « honte et confusion. »

Des réformes profondes s’accompliront, sinon le gouvernement parlementaire périra dans l’impuissance et dans la déconsidération. Là où le conflit ne peut manquer de se produire et où il sera mortel, c’est dans les relations entre le parlement et l’armée ; nous en avons eu déjà de nombreux exemples. En Allemagne, il existe en permanence, tantôt à l’état aigu, comme avant 1866, tantôt déguisé, comme depuis cette époque. L’Empire a son Reichstag, et chaque état son assemblée délibérante. On y prononce de très beaux discours ; on y vote des lois et même souvent on se donne la satisfaction de rejeter les projets du gouvernement ; mais, en réalité, le maître absolu, c’est le souverain ou son ministre, par la simple raison qu’un million de baïonnettes disciplinées et obéissantes forment un argument irrésistible. Cette vérité est dure, et les patriotes libéraux en gémissent, d’autant plus que le grand-chancelier ne se pique pas de la leur dissimuler. En Égypte, un gouvernement régulier, économe, favorable aux progrès du pays fonctionnait sous le contrôle de la France et de l’Angleterre ; mais on avait oublié de compter avec l’armée, et elle a tout renversé. En France même, deux dates sinistres ne s’oublient pas, le 18 brumaire et le 2 décembre. En Angleterre, les événemens de la révolution et de la restauration avaient si clairement révélé le danger, que le parlement a pris des mesures radicales pour s’en défendre. Le bill qui impose l’obéissance