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de la transmission féodale. Le droit d’aînesse existait donc pour ces terres, ce qui achevait de donner au simple propriétaire l’apparence d’un gentilhomme. Enfin, certains bourgeois, en particulier les bourgeois de Paris, étaient autorisés à tenir des fiefs nobles sans payer le droit de franc-fief, dispense qui prêtait également à la confusion. Tout se réunissait donc pour aider aux usurpations de noblesse et de qualifications nobiliaires. Aussi, de très bonne heure, elles se produisirent assez effrontément. Les parlemens et les cours des aides adressaient de temps à autre à ce sujet des remontrances ; les hérauts d’armes, les généalogistes officiels réclamaient ; la vraie noblesse se plaignait d’intrusions sans nombre. Aux états-généraux de 1614, ses députés dénoncèrent l’énormité des abus et demandèrent qu’on condamnât à la confiscation de la terre noble possédée celui qui s’en était fait un moyen pour usurper la noblesse. En 1787, le généalogiste Chérin, dans le discours préliminaire qu’il a placé en tête de son Abrégé chronologique des édits sur la noblesse, se faisait encore l’écho de ces plaintes ; il dénonçait les usurpations comme ayant pour conséquence de rendre plus lourd sur le tiers-état le poids des charges publiques, auxquelles tant de gens réussissaient à se soustraire indûment en s’attribuant, des privilèges qui les y faisaient échapper.

Pour remédier à ce désordre, les rois rendirent fréquemment des ordonnances défendant sous des peines pécuniaires de prendre indûment des qualités et des titres de noblesse. Les tribunaux prononçaient l’amende contre les délinquans, mais cette répression, quelque peu intermittente, n’arrêtait pas les empiétemens des roturiers. L’ordonnance d’Amboise du 6 mars 1555 interdit toute usurpation de noblesse sous peine de 1,000 livres d’amende, et l’ordonnance d’Orléans laissa l’amende à l’arbitraire du juge, de façon qu’il pût en prononcer au besoin une plus forte. Elle interdit aux roturiers à la fois la prise de toute qualification noble et le port des armoiries timbrées. Semblables défenses furent faites par Henri III en juillet 1576 et en septembre 1577, par Henri IV en 1600, par Louis XIII en 1632. Ce renouvellement périodique des interdictions en prouve suffisamment l’inefficacité, et tous les témoignages déposent de l’audace des usurpateurs. On fabriquait des parchemins, on produisait des pièces frauduleuses, on alléguait de prétendues généalogies, pour justifier les qualifications que l’on se donnait. Les juges n’étaient pas en état de discerner le vrai du faux, et pour se reconnaître au milieu de ces documens de toute nature, il eût fallu des lumières spéciales et une véritable érudition. La juridiction des élus qui prétendait statuer sur ces matières était sans autorité. Il lui fut interdit, en 1634, de procéder sur le fait d’usurpation de titres. On réserva ce droit aux cours des aides, qui ne