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envers le seigneur, qui était, dans ce cas, l’évêque, et ce même caractère de fief descendit jusqu’aux plus humbles fonctions domestiques. Tout était concédé à charge d’hommage, et conséquemment en principe sous l’obligation du service militaire. C’était en vue de s’assurer des auxiliaires dans leurs luttes que le roi et les gros vassaux prodiguaient les pensions aux gentilshommes peu fortunés ; ils se ménageaient par là le concours d’une foule de nobles nationaux et étrangers. Ces fiefs de pension viagère étaient ce qu’on appelait des fiefs de soudée. Quelquefois un noble devenait ainsi pensionnaire de plusieurs princes ou grands barons à la fois. Comme il ne pouvait les servir tous en personne, il se faisait représenter par des substituts à l’armée de ceux près desquels il ne se rendait pas.

On le voit, celui qui tenait un fief devait être avant tout un homme de guerre. Comme les hostilités renaissaient sans cesse au moyen âge entre les seigneurs, il était presque constamment en campagne, appelé ici ou là pour venir en aide à son suzerain. En principe, il servait à ses frais pour un temps limité ; il arrivait à l’armée dans un accoutrement et un équipage conformes à son rang et à ses ressources, tandis que le roturier ne se présentait que dans un attirail beaucoup plus modeste. Le noble combattait à cheval, coiffé du heaume, ceint de l’épée, vêtu du haubert, ayant la lance et l’écu. Il revendiquait pour lui seul le droit d’être ainsi équipé, car il se regardait comme l’homme d’armes par excellence, et l’on trouve, en effet, dès le XIe siècle, la qualification de miles exclusivement attribuée à celui qui servait dans la cavalerie, arme qui avait le pas sur l’infanterie. Les nobles constituèrent donc d’ordinaire la partie montée de l’armée ; ils formaient dans la société du temps l’ordre équestre. Mais, comme il vient d’être dit à propos du service militaire dû par le fief, le noble ne pouvait servir que lorsqu’il avait atteint l’âge convenable. Il lui fallait avoir fait préalablement et dès l’enfance son apprentissage en qualité de page, de damoiseau, de varlet. Une fois qu’il avait ses quatorze ans accomplis, il se rendait à l’armée en qualité de servant de quelque homme d’armes dont il portait l’écu pendant la marche ; de là, la qualification d’écuyer qu’on lui donnait, et il devait alors faire ses preuves de force et de courage. C’est seulement quand il les avait faites que, suivant un usage qui a existé chez un grand nombre de peuples, il recevait ses premières armes.

Cette remise se faisait avec solennité et était entourée d’un cérémonial particulier. L’église essaya, même de lui donner un caractère tout à fait religieux. L’armement du jeune chevalier, c’est-à-dire du jeune noble qui devait désormais combattre à cheval, devint de la sorte un véritable sacrement. On lui faisait prendre l’épée sur l’autel, et on lui imposait le serment de défendre l’église, les veuves