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ont été plus exigeantes à l’égard des titres que se donnent les personnes mentionnées dans les actes de l’état civil et elles ont réclamé des pièces justificatives qu’il est parfois malaisé de leur fournir.

En fait, la charte de 1814 avait apporté par son article 71, en ce qui touche les titres de noblesse, une irrémédiable confusion, puisqu’à une noblesse dont les appellations et les conditions étaient bien définies, la noblesse impériale, elle en associait une autre au sein de laquelle l’anarchie en matière de noms et de qualifications avait depuis longtemps régné ; cette anarchie s’était encore accrue pendant l’émigration, alors que la substitution et l’usurpation des titres n’avaient à craindre aucun contrôle d’un gouvernement établi. En rentrant sur le sol qu’ils avaient quitté près de vingt-cinq années auparavant, les nobles restés fidèles à la royauté légitime portaient des titres dont beaucoup n’avaient jamais été vérifiés. Il y eut en ce temps-là d’audacieuses et d’étranges substitutions de noms et de personnes, même des substitutions de sexe ; l’on vit, par exemple, le valet de chambre d’une demoiselle noble, morte en émigration, prendre à son retour en France le nom de sa maîtresse, en simuler le sexe, et obtenir ainsi une pension et un logement au palais de Versailles. Il abusa jusqu’à la fin le gouvernement et le public, qui ne connurent la fraude qu’à sa mort.

L’œuvre dont on avait chargé successivement la commission du sceau des titres et le conseil rétabli en 1859 ne pouvait aboutir. C’était toute une législation rétrospective qu’il eût fallu composer, puisque depuis bien des années l’arbitraire s’était introduit dans le port et la transmission des titres. Sous l’ancien régime, le roi avait entrepris de faire vérifier les titres de noblesse et d’écarter ainsi les faux nobles, mais la besogne était toujours à reprendre. Les usurpations reparaissaient à courts intervalles, et comme la noblesse jouissait alors de privilèges sociaux et échappait en partie à l’impôt, elles étaient bien autrement graves dans leurs conséquences que celles plus récentes qui n’ont porté que sur des dénominations et sur des titres. L’histoire de ces tentatives pour purger la noblesse des familles qui s’y étaient indûment et subrepticement glissées est curieuse ; elle forme un des chapitres les plus piquans des annales de l’aristocratie française ; l’on y retrouve l’empreinte de notre caractère national. Elle nous montre aussi les vicissitudes par lesquelles ont passé ces qualifications nobiliaires dont la vanité demeure encore si éprise et qui se rattachent étroitement aux transformations politiques de la caste à laquelle appartenait sous l’ancien régime le second rang dans l’état.

Je veux essayer de retracer rapidement ici cette histoire, en mettant en relief la différence qui séparait la vieille noblesse de celle qu’avait voulu créer Napoléon Ier et en indiquant les projets qu’il