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noble et ne pouvait découvrir aucun prétexte apparent pour s’attribuer le titre de marquis, de comte, de vicomte, de baron, ajoutait à son nom le de, que le vulgaire prenait pour une marque de noblesse et que, pour ce motif, il qualifiait de particule nobiliaire. Pourtant, on savait fort bien que Poquelin de Molière, acteur et fils d’un tapissier du roi, n’avait jamais été noble, que Caron de Beaumarchais était le fils d’un horloger et que M. de Chamfort était un enfant naturel, né d’un père inconnu ! Mais la vanité n’y regardait pas de si près, et moins l’autorité attachait d’importance à toutes ces usurpations, moins on risquait d’être inquiété pour se les être permises, plus on les voyait se multiplier. Ici un père prenait un titre en vue de mieux marier ses enfans, de trouver pour son fils, auquel il en assurait la transmission, quelque héritière ; là un marchand enrichi et dont le nom était resté attaché à une maison de commerce échangeait ce nom contre un nom titré destiné à faire oublier la profession à laquelle il avait dû sa fortune et à lui ouvrir l’entrée de la haute société. Sous la restauration, tel officier aspirait-il à être admis dans la garde royale ou dans les gardes du corps quoiqu’il n’appartînt pas à la noblesse, il s’empressait de se décorer de quelque titre qui lui facilitât son admission. Un jeune homme se destinait-il à la diplomatie, pour parvenir plus aisément il se donnait volontiers un titre de noblesse. Tout cela se faisait sans tenir le moindre compte des règles jadis consacrées. Un neveu obtenait sans grande difficulté d’hériter du titre de son oncle, un mari, de celui de quelque ancêtre de sa femme. Dans les dernières années du gouvernement de juillet, le désordre et l’arbitraire avaient ainsi pénétré dans tout ce qui touchait au port et à la transmission des titres nobiliaires. Le nombre de ceux qui se les attribuaient était devenu tel que les gens sérieux n’y attachaient plus qu’une très médiocre importance. Les titres de prince et de duc gardaient seuls leur éclat, parce qu’on avait rarement osé les usurper ; quant aux autres, ils couraient les rues. Ce qui en avait accru le nombre, c’est qu’aux titres conférés par le gouvernement français venaient sans cesse s’ajouter ceux qu’on allait acheter au dehors, qu’on arrachait de la faveur de quelque prince étranger ; et on les portait bien souvent sans s’être même mis en règle avec le sceau. On vit certaines personnes, afin de mieux donner le change au public, quitter pour un temps la France, de façon à s’y faire oublier, puis reparaître un beau jour sous le déguisement d’un nom nouveau et d’un titre de noblesse exotique. Le gouvernement provisoire de 1848, en présence de pareils abus, s’imaginant que les titres nobiliaires étaient tombés dans un complet discrédit, pensa pouvoir renouveler les mesures décrétées en 1790 par l’assemblée nationale. Dès le 29 février paraissait un décret abolissant les anciens titres de noblesse. Mais cette tentative n’eut