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Invalides ? Connaît-on la raison décisive ? Le mot, en vérité, a été dit. C’est qu’il y a une église, c’est qu’il y a des aumôniers, des prêtres, c’est que les invalides assistent en armes à certains services ! Oui, ils font le service toutes les fois qu’on porte un vieux soldat mort sous ce dôme ; ils ont fait le service, il n’y a pas très longtemps, aux obsèques de ce vaillant amiral Pothuau, dont M. le ministre de la guerre a parlé avec une généreuse émotion, qui, pour dernière grâce ou pour dernier honneur, avait demandé à être enterré aux Invalides. Voilà qui est grave et qui démontre assez le péril clérical.

Quand on en vient là, évidemment, c’est moins une passion sérieuse qu’une sorte d’amoindrissement d’esprit, une manie qui ne s’arrête même pas devant le ridicule. Tout y passe ou y passerait si l’on n’y prenait garde, l’hôtel des Invalides, les cimetières, les écoles, le serment en justice, et le dernier mot est un trouble profond jeté dans les habitudes, dans les cultes, dans les mœurs d’un pays qui ne sait plus où il en est. Avec ces entreprises de sectaires, on ne supprime pas les croyances, on les raviverait plutôt, au contraire : on supprime la paix des esprits et des consciences, de même qu’avec la guerre contre la magistrature, on n’arrive pas à de grands résultats, puisqu’on ne peut pas même réussir à s’entendre sur la manière d’exécuter cette magistrature ; mais, en attendant, on ébranle tout, on met la suspicion partout et l’idée même de la justice finit par être atteinte. C’est la désorganisation dans l’ordre moral et politique.

La désorganisation administrative et financière n’est pas moins sensible et elle vient encore de se traduire sous une forme aussi bizarre qu’imprévue à propos de ce budget extraordinaire sur lequel on ne sait plus à quoi s’en tenir. L’aventure serait presque plaisante si tous les intérêts du pays ne s’y trouvaient compromis. Il y a quelques semaines, à la veille ou au début de la session, c’était M. le ministre des finances qui s’était gravement trompé dans ses combinaisons pour avoir voulu faire du nouveau et abandonner la convention avec la compagnie d’Orléans ; il avait cru pouvoir suppléer au produit de cette convention avec des crédits qui n’existaient pas, avec des sommes dont il ne pouvait en réalité disposer, et toute vérification faite pour combler le déficit, on avait à trouver quelque chose comme cent millions ou à peu près. Là-dessus la commission du budget, bien qu’un peu déconcertée, se remettait courageusement à l’œuvre. Elle recommençait ses calculs, refaisait ses comptes, et tant bien que mal, puisant à toutes les sources, empruntant un peu de toutes parts, particulièrement à la dette flottante déjà fort surchargée, elle croyait avoir remis à flot le malheureux budget extraordinaire en y inscrivant les chemins de fer pour une somme d’un peu plus de 280 millions. Fort bien ; mais à peine l’édifice semblait-il plus ou moins réparé d’un côté qu’il s’effondrait