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le reconnaître, fit faire un pas à cette question des houilles. Il alla aussi loin que l’intuition seule, dépourvue de méthode et de recherches analytiques, pouvait le permettre. Les veines de charbon, d’après lui, doivent leur origine aux premiers végétaux que la terre ait formés. Les eaux encore tièdes couvraient alors la plus grande partie de la surface terrestre, à l’exception de quelques îles qui se peuplèrent dès les premiers temps d’une infinité d’arbres et de plantes, dont les débris entraînés formèrent des dépôts de matières végétales sur une foule de points.

La science actuelle, si l’on reste dans les généralités, ne tient guère un autre langage, et les vues de Buffon étaient sages, à la condition toutefois de n’entrer dans aucun des détails qui sont du domaine de l’analyse. Les radeaux du Mississipi, les arbres charriés par l’Amazone jusqu’à son embouchure sont ici invoqués en témoignage, bien que la constitution insulaire des terres d’alors, établie par Buffon, dût paraître incompatible avec l’existence des fleuves énormes dont il admettait l’action. Mais l’esprit ne se préoccupait pas encore de semblables contradictions et la science était loin d’avoir acquis le degré de précision qui la caractérise de nos jours et qu’elle doit à l’habitude d’observer, à la nécessité où elle se trouve de spécialiser, en les serrant de près, les questions abordées par elle. Buffon accordait libéralement vingt à vingt-cinq mille ans de durée à cet âge de la houille sur lequel aucune évaluation n’oserait porter maintenant de peur de demeurer trop faible. Il s’écartait moins de la réalité en prenant les savanes noyées de l’Orénoque, peuplées de palmiers, entourées d’une ceinture de hautes forêts, jonchées d’arbres décrépits, comme devant offrir un tableau comparable à celui que présentait la terre à l’époque carbonifère. Ne semble-t-il pas l’écho fidèle des impressions de notre siècle lorsqu’il dit des mines de charbon : « Ce sont des trésors que la nature semble avoir accumulés d’avance pour les besoins à venir des grandes populations : plus les hommes se multiplieront, plus les forêts diminueront ; les bois ne pouvant plus suffire à leur consommation, ils auront recours à ces immenses dépôts de matières combustibles dont l’usage leur deviendra d’autant plus nécessaire que le globe se refroidira davantage. » Ce que prévoyait Buffon est en train de s’accomplir. Puisse-t-il avoir eu le coup d’œil aussi prophétique en terminant ainsi : « .. Néanmoins, ils ne les épuiseront jamais, car une seule de ces mines de charbon contient peut-être plus de matière combustible que toutes les forêts d’une vaste contrée. » L’assertion est exacte en supprimant le « peut-être, » et pourtant nous en sommes déjà à nous demander si les houilles ne s’épuiseront pas d’ici à quelques siècles, et comment fera l’homme une fois dénué de cette ressource dont il use à