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exceptionnel qu’il avait prêté à la garnison du Mont-Saint-Michel jusqu’au moment où il avait été fait prisonnier à la bataille de Verneuil. Aussi n’est-il pas étonnant qu’aussitôt après la délivrance d’Orléans et le sacre de Charles VII à Reims, Jean II et son amie, forcés de renoncer à leur entreprise contre Paris, aient conçu le projet, en octobre 1429, de porter secours aux défenseurs du sanctuaire de l’archange. Ce projet se comprend d’autant mieux que les Anglais faisaient alors des préparatifs formidables pour soumettre de nouveau le Mont-Saint-Michel à un siège en règle. Voici en quels termes un chroniqueur, particulièrement bien informé sur les faits du duc d’Alençon et de la Pucelle, Perceval de Cagny, parle de l’expédition projetée :

« Le duc d’Alençon avoit toujours été dans la compagnie de la Pucelle et l’avoit conduite en faisant le chemin du couronnement du roi, à la cité de Reims et en venant dudit lieu à Paris. Quand le roi fut venu audit lieu de Gien, ledit duc d’Alençon s’en alla devers sa femme et en sa vicomte de Beaumont et les autres capitaines chacun en sa frontière. Et la Pucelle demeura devers le roi, moult ennuyée du départ et spécialement du duc d’Alençon, qu’elle aimoit très fort et faisoit pour lui ce qu’elle n’eût fait pour un autre. Peu de temps après, ledit duc d’Alençon assembla gens pour entrer au pays de Normandie, vers les marches de Bretagne et du Maine, et, pour ce faire, requit et fit requérir le roi qu’il lui plût lui bailler la Pucelle et que, par le moyen d’elle, plusieurs se mettroient en sa compagnie, qui ne se bougeroient si elle ne taisoit le chemin. Messire Regnault de Chartres, le seigneur de la Tremouille, le sire de Gaucourt, qui gouvernoit alors le corps du roi et le fait de sa guerre, ne voulurent jamais consentir ni faire ni souffrir que la Pucelle et le duc d’Alençon fussent ensemble, et depuis ledit duc ne la put recouvrer. »

Comme le chroniqueur n’a pas désigné expressément le Mont-Saint-Michel, les historiens n’ont pas pris garde jusqu’à présent à ce curieux passage. Il n’en est pas moins certain que ces mots : « entrer au pays de Normandie, vers les marches de Bretagne et du Maine, » indiquent un projet d’expédition dans l’Avranchin. Il est évident que des forces françaises opérant dans cette région devaient avoir pour premier et principal objectif de dégager complètement le Mont-Saint-Michel, afin de s’en faire ensuite une base d’opérations. Combien on doit regretter que la jalousie de La Tremouille ait opposé un obstacle insurmontable à l’accomplissement de ce dessein ! À cette date, la nouvelle des victoires, des succès merveilleux de la Pucelle avait déjà fait courir dans le pays compris entre la Seine et le Couesnon un frémissement d’espérance. Des