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Il mériterait mieux. Nulle part la transformation n’a été plus rapide et plus complète en Russie. Il y a peu d’années, quand ce pays voulait fabriquer lui-même, il empruntait les modèles ou les dessinateurs à l’étranger. Aujourd’hui, il pourrait prêter aux autres. Il n’est que juste de nommer les grandes écoles auxquelles ce résultat est dû. C’est, à Moscou, l’école Strogonof ; à Saint-Pétersbourg, l’école de dessin généreusement fondée par le baron Stiegliz, qui vient d’ouvrir et qui compte déjà des centaines d’élèves ; l’école de la société d’encouragement, qui a dépassé le chiffre de mille élèves en quelques années. Un lettré et un artiste, un homme de bien, M. Gregorovitch, s’est voué à cette dernière avec toutes les forces de son intelligence ; il a obtenu ces succès rapides par la seule vertu de l’initiative privée et sans aide officielle, phénomène rare en Russie. Enfin, les grandes compagnies de chemins de fer se font un devoir d’entretenir chacune une école de dessin pour leur personnel. Un esprit très large dirige l’enseignement, on va chercher les modèles un peu partout, en France, en Allemagne, à Kensington, en Orient. Dans ces conditions, il est presque impossible qu’une vocation sérieuse ne trouve pas où se développer. Tous ces établissemens ont leur exposition particulière à Moscou ; on voit ce qui existait, il y a dix ans, des essais gauches, sans goût, sans style, et ce à quoi l’on est arrivé aujourd’hui : un dessin habile, inventif, l’accommodation du style russe aux besoins de l’orfèvrerie, de la ferronnerie, de la céramique, de l’ameublement, des impressions sur tissus. C’est de là que sortent les cartons élégans qui ont permis aux étoffes imprimées de faire si bonne figure à l’exposition. Des procédés nouveaux sont en honneur ; ainsi la gravure par la pointe rouge, sur une planche de bois qui emprunte à l’action du feu de beaux tons fauves. On obtient de la sorte des panneaux de meubles d’un caractère très artistique. À vrai dire, ce procédé ne répond guère aux exigences de l’industrie, il est surtout entre les mains d’amateurs qui en tirent un grand parti. Voilà un de ces panneaux, représentant une paysanne et ses enfans ; avec des moyens si restreints, l’artiste nous rend l’illusion des différens bois du mobilier, sapin ou bouleau, il fait ressortir les tons respectifs des broderies et des linges, donne de l’expression aux figures. Il y a bien de l’esprit et de la finesse dans la main qui a conduit ce trait. — Une génération de dessinateurs est formée ; la génération qui vient donnera sans doute des ouvriers pour travailler sur ces modèles, dans toutes les industries encore retardées, l’ameublement, la verrerie, la céramique. Cette dernière commence à se répandre en dehors de la fabrique impériale, fondée par Catherine sur le plan de notre manufacture de Sèvres. M. Maslianikof expose des faïences très soignées, des barbotines, des flambés ; il est parvenu à