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en prononçant le mot de déficit communal, nous n’avons jamais prétendu que cette situation fût irrémédiable, que la faillite des communes dût en être la conséquence, et que notre pays, pût se trouver acculé aux intolérables extrémités qui ont entraîné fatalement notre première révolution hors des limites du juste et du vrai. Nous ne pouvons cependant nous empêcher de considérer les embarras financiers sur le petit théâtre des communes comme une cause de désordres sociaux plus redoutables que les embarras financiers de l’état lui-même, et nous ne croyons pouvoir mieux faire que de couvrir nos réflexions pessimistes de l’autorité du livre qui, en ces dernières années, nous paraît le plus utile à consulter pour l’éducation politique de tous, le grand ouvrage de M. Taine sur l’ancien régime et les origines de la France contemporaine. Si cette mémorable époque a donné lieu à de bien remarquables travaux, nulle part elle n’a été présentée sous une forme plus complète, plus saisissante, plus capable d’instruire les hommes des maux que les excès politiques engendrent, et des ruines que les discordes civiles laissent après elles. On a eu l’histoire des idées révolutionnaires, à côté de celle des progrès que le mouvement des esprits en 1789 a enfantés ; on a eu ainsi le tableau des catastrophes résultant de l’application de principes erronés et des crimes du fanatisme, mais ces récits ne se sont attachés qu’aux faits généraux, ils n’ont reproduit avec vigueur que certaines grandes scènes à Paris, à Lyon, à Nantes ou à Marseille, sans retracer celles dont chaque localité a été le théâtre, ce qu’il importait surtout de savoir, pour bien apprécier l’étendue du mal, et faire à chacun sa part de responsabilité. Les plus âgés de notre génération peuvent bien se rappeler par les confidences de leurs pères, témoins ou victimes de ces désordres partiels, tout ce qu’ont souffert dans les moindres localités ceux qu’à tort ou à raison on représentait comme favorables à l’ancien régime, les déprédations, les meurtres, les persécutions exercées contre les suspects ; mais il fallait qu’un écrivain de grand talent, sans prendre parti pour ainsi dire entre les vaincus et les vainqueurs, placé à une souveraine hauteur de désintéressement et d’impartialité, consentît à rassembler les faits isolés, à en dresser la liste minutieuse, à en donner les détails précis, à reproduire ce qu’on appellerait volontiers la photographie terrible de la France entière. Quel tableau que celui des trois cents émeutes qui ont précédé de quelques mois la prise de la Bastille, et des ravages de cette maladie subite que M. Taine appelle l’anarchie spontanée, qui investissait partout chaque attroupement du droit de rendre des sentences et de les exécuter lui-même sur la vie et sur les biens ! Exercée d’abord contre les chartriers, ce droit s’exerce ensuite contre tous ceux qui