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l’estimation de la richesse personnelle, rien ne serait plus facile que d’augmenter la cote de l’un pour amoindrir celle de l’autre, de même qu’un conseil municipal composé de membres à qui le nombre de centimes imposés importerait peu, ne se ferait pas faute d’en accroître la quantité. C’était pour défendre les propriétaires contre de telles tendances, faciles d’ailleurs à concevoir, que la loi municipale exigeait l’adjonction des plus hauts imposés en nombre égal aux conseillers municipaux dans les votes ayant pour objet les impositions communales. Une décision récente vient d’abroger cette sage disposition : il faut le regretter au point de vue de la justice, c’est-à-dire du vrai libéralisme, comme il faut aussi craindre tous les projets de lois nouveaux qu’on se propose de faire voter par les chambres sous prétexte d’extensions des libertés municipales. Dans l’état actuel des esprits, la liberté municipale telle qu’on la rêve n’est propre qu’à constituer un régime de tyrannie locale ; et tout moyen de redressement, de surveillance, d’action enfin sur les conseils municipaux dont on dépouille les préfets, est une protection dont on dépouille les enviés contre l’assaut des envieux. Il n’est pas un homme ayant médité sur les difficultés de notre situation sociale qui ne regrette amèrement l’amoindrissement du protectorat tutélaire exercé par cette ancienne administration départementale qui, sous la monarchie constitutionnelle, par exemple, ne faisait usage de son autorité que pour modérer les exigences locales, tenir la balance exacte entre les intérêts opposés, et grâce à l’exercice incontesté du pouvoir central faire régner dans les communes la paix pour tous et la liberté pour chacun. Ce n’est pas que ce régime n’ait été l’objet lui-même de vives critiques et que l’on n’ait reproché alors aux préfets d’avoir pratiqué un système d’influence électorale ; on criait en ce moment très fort contre la corruption. Nous ne prétendons nullement que l’administration de ce temps, pas plus que celles qui lui ont succédé, se soit désintéressée des luttes politiques, mais elle gardait le rôle qui lui convient, à savoir l’attitude supérieure ; elle planait de haut sur les rivalités locales ; elle accordait les faveurs, elle assurait les améliorations utiles sans obéir aux suggestions inférieures et subir la pression d’en bas. Gênée quelquefois dans son action par les partis extrêmes de droite et de gauche, elle se voyait souvent contrainte de passer au milieu d’eux sans tenir compte de leurs revendications, mais elle avait la conscience de répondre aux vœux légitimes du plus grand nombre et tenait à honneur de ne flatter jamais des espérances vaines, de ne nourrir aucune illusion dangereuse, de ne travailler que pour les progrès réguliers. En est-il de même aujourd’hui ?

En faisant ressortir les dangers de la situation financière des communes,