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une certaine popularité, c’est risquer d’affaiblir l’importance des dons et des offrandes, c’est commettre un crime de lèse-humanité. Quoi qu’on fasse, les efforts de la charité publique ne seront jamais à la hauteur de ceux de la charité privée, et sans vouloir médire des fonctionnaires civils chargés de pourvoir aux soins de la première, c’est par des mains plus dignes que se répand la seconde.

Il y a des esprits convaincus que l’enseignement primaire, même celui des filles, peut être aussi bien donné par des laïques que par des religieux ; mais on ne trouve personne pour soutenir que la garde des malades, l’assistance aux enfans, aux vieillards, aux infirmes, la distribution des secours aux indigens, ne soient pas le lot exclusif de ceux et de celles qui ont avant tout fait vœu d’abnégation et de pauvreté. On rencontre souvent des misérables à qui l’aumône distribuée par le riche et l’heureux du monde n’arrache qu’une expression d’envie, ou du moins une parole d’indifférence et de dédain ; mais quand la main qui s’ouvre pour eux est celle, par exemple, d’une sainte femme à qui les joies du monde sont refusées, s’il n’y a pas de reconnaissance chez celui qui reçoit, il n’y a pas de haine, le don lui paraît naturel et conforme à la qualité du donateur. Ajoutons que pour la création et le fonctionnement de tous les établissemens dus à la charité privée, la première condition réclamée par leurs fondateurs est précisément l’alliance de la religion et de la charité, et l’exercice de celle-ci par les représentans d’intérêts supérieurs aux intérêts du monde. Les bienfaiteurs sans nombre, dont les libéralités ne s’épuisent jamais, ne se croient pas, le plus souvent, dignes d’accomplir eux-mêmes le devoir de la charité, mais ils n’en confieraient le soin qu’à ceux pour lesquels le premier acte a été de se sacrifier eux-mêmes.

Jamais la statistique n’a été en mesure de récapituler tout ce que la bienfaisance privée distribue annuellement à nos pauvres et à nos infirmes : le budget général de l’état ne contient pas non plus un renseignement spécial qui permette de chiffrer les dépenses à sa charge et à celle des départemens en ce qui concerne l’assistance. Nous avons cité plus haut la somme totale des dépenses communales relatives aux bureaux de bienfaisance : bien qu’elle s’accroisse d’année en année, elle ne paraîtra pas bien élevée encore, et certainement, si les efforts de ceux qui veulent laïciser la charité étaient couronnés de succès, on ne manquerait pas de réclamer pour les bureaux de bienfaisance et les subventions aux hospices des ressources nouvelles et plus importantes. Où les prendrait-on ? Ge qui est facultatif aujourd’hui ne manquerait pas de devenir obligatoire, et alors que l’ensemble des libéralités charitables se serait fort amoindri, les dépenses communales s’accroîtraient démesurément,