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d’un temple aux vastes proportions. On vient de l’achever : l’intérieur est grandiose et d’un luxe éblouissant ; l’architecte a prodigué les porphyres précieux de l’Oural, les revêtemens de labrador et de jaspe. À l’extérieur, c’est un énorme cube de pierre, aux profils pesans, rigides et tristes, qui ne donne pas la mesure de son élévation réelle et de ses dimensions intérieures. Peut-être les chercheurs trouveraient-ils d’heureuses inspirations dans l’étude de la cathédrale de Zvénigorod, de la fin du XIIIe siècle, où l’harmonie de l’ensemble résulte d’une proportion parfaite entre la hauteur du vaisseau et celle de la lanterne cylindrique qui supporte une coupole unique. Dans l’architecture civile, il y a un parti à tirer, pour l’ornementation extérieure, de ces revêtemens de terres émaillées, introduits en Russie par les Orientaux ; on ne craint pas les couleurs vives ici ; la plus gracieuse relique du temps passé est certainement ce pavillon conservé dans l’ancien couvent de Kroutitzki, où les carreaux de faïence et une dentelle de pierre peinte décorent les entre-deux de fenêtres renaissance. — Mais tout cela ne résout pas le problème des vastes édifices, maintenus dans le style russe ; je crains bien qu’il ne soit insoluble.

Tous les arts du dessin sont représentés à Moscou ; je ne pense pas qu’il faille attacher une grande importance à la section d’aquarelle et de gravure. M. Sokolof, le meilleur des aquarellistes russes, n’y figure pas ; M. Villier expose un de ces petits paysages qu’il traite dans un sentiment très moderne. Depuis quelques années, le talent de nos artistes a poussé ce genre si loin que nous sommes involontairement sévères pour l’infériorité des productions étrangères. Quant à la gravure, il est bien difficile d’implanter ce bel art dans un terrain nouveau, alors que la concurrence des procédés scientifiques le menace jusque dans les vieilles écoles où il a des traditions glorieuses. Soyons d’autant plus reconnaissans à ceux qui s’y consacrent, comme M. Pojalostine, le graveur de portraits, et M. Chichkine ; ce dernier attaque le paysage avec un burin un peu sec, mais non sans vigueur. La curiosité de cette section, c’est l’évangile manuscrit, orné de miniatures, de M. Solovief. Ce singulier artiste, un oublié du moyen âge, s’est avisé d’enfouir un labeur de bénédictin et des dons exceptionnels dans ces travaux archaïques désormais sans but. On passerait des heures à feuilleter ces pages. Quelle prodigieuse richesse d’invention ! quelle fantaisie dans ces figurines, ces agencemens de capitales et de culs-de-lampe ! quelle science du coloris dans ces petites scènes discrètement teintées, ces personnages monochromes, ces camaïeux et ces grisailles ! J’ai eu occasion de voir un recueil de légendes slaves enluminé par M. Solovief et peut-être supérieur à son évangile. Il y a là par douzaines des compositions absolument originales, et si sincères, si