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être assez fâcheux. C’est ainsi que Baduel, qui était plus rhéteur que philosophe, avait fait venir, pour occuper à sa place la chaire de philosophie, un savant de grand renom, que Rabelais a raillé en passant, Guillaume Bigot. Il était impossible d’avoir la main plus malheureuse. Bigot était un vaniteux, un querelleur, un de ces spadassins de lettres comme il y en a tant au XVIe siècle. Dès qu’il mit le pied dans le collège des arts, il prétendit en être le maître et entama avec Baduel une lutte pleine des incidens les plus étranges. La discorde était dans le collège ; les élèves des deux professeurs rivaux ne cessaient de se quereller. Un jour, dans une de ces représentations solennelles qui se faisaient à la Saint-Michel pour la rentrée des classes, Baduel prononça en présence des écoliers et de leurs familles une invective sanglante contre son collègue, dans laquelle il l’appelait « un pauvre diable de professeur (magistellus), tout à fait dénué de talent, de savoir, de style et qui n’était capable que d’aller braire parmi les ânes. » Remarquez que, des deux, Baduel était de beaucoup le plus modéré. Bigot, dont on disait qu’il était souvent ivre et toujours fou, sœpe ebrius, semper insanus, répondait par des coups de langue et quelquefois par des coups d’épée. Je laisse à penser ce que devenaient les études au milieu de tous ces conflits. Les bons citoyens gémissaient, les brouillons se partageaient entre les deux rivaux, les procès naissaient les uns des autres. L’école devenait un champ : de bataille, et il ne se trouvait pas d’autorité assez ferme pour rétablir la paix dans ce petit monde troublé. Il me semble qu’une leçon se dégage de cette histoire : lorsqu’on voit quels désordres peuvent se produire quand l’éducation est tout à fait abandonnée aux particuliers ou aux villes, on devient moins défavorable au système qui la met dans la main de l’état.

Baduel n’apportait pas seulement à Nîmes une réforme pédagogique ; il aida singulièrement à y répandre la réforme religieuse. J’ai dit qu’il avait suivi les leçons de Mélanchton. À Strasbourg, en même temps qu’il fréquentait Jean Sturm, il s’était lié avec Bucer et Calvin. Quand il vint diriger le collège et l’université de Nîmes, il partageait, sans le dire, toutes leurs idées. Ses opinions se firent jour pour la première fois dans le public par son mariage. Assurément rien n’empêchait Baduel de se marier, puisqu’il n’était pas