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pour y combattre avec les secours que promet le roi des Gétes, implique d’abord le sacrifice de la flotte. Quand on aura fait l’abandon des vaisseaux à demi désarmés, trouvera-t-on le roi des Gètes exact au rendez-vous ? Ce barbare a pensé sans doute s’engager envers le plus fort ; peut-on espérer qu’il se trouvera lié envers l’infortune ? C’est donc au métier de fugitif que Canidius ose convier le plus brillant soldat de Rome ! Cléopâtre a raison quand elle conjure Antoine de reporter le théâtre de la guerre en Asie. Les vétérans se soucient médiocrement, il est vrai, de s’en fier de leur salut à la mer ; s’il faut mourir, ils voudraient au moins mourir debout, les armes à la main, mourir sur un terrain qui ne trahira pas leur courage. Ce n’est qu’avec la plus vive répugnance qu’ils s’embarquent. Antoine les rassure : la physionomie du héros a gardé le vaillant sourire qui soutenait l’armée quand elle était assaillie par les Parthes : le danger n’était-il pas plus grand quand on dut se frayer un chemin à travers les montagnes de l’Arménie ? S’il garde quelque inquiétude, Antoine a depuis longtemps appris à dominer les secrètes angoisses de son cœur. Sa résolution est irrévocable : il forcera le passage, dût-il laisser une partie de sa flotte sur le champ de bataille. Pour premier sacrifice, il fait brûler tous les vaisseaux égyptiens, à l’exception de soixante qu’il juge en état, par leur construction et par leur armement, de le suivre. Il possédait, quand il vint mouiller sur la rade d’Actium, cinq cents vaisseaux de guerre ; il lui en restera trois cent soixante, tous galères à trois rangs au moins de rames : plusieurs en comptent de cinq jusqu’à dix. Sur ces galères, Antoine fait monter 20,000 fantassins et 2,000 hommes de trait. Sa résolution de pousser en avant à tout prix, à tout risque, est si bien arrêtée qu’il refuse de laisser à terre les grandes voiles qui vont charger inutilement les antennes, embarrasser les ponts sans profit. Si Antoine ne se proposait que de combattre, pourquoi résisterait-il obstinément sur ce point aux instances réitérées des pilotes ? Ses navires sont plus lourds que les vaisseaux d’Octave ; il faut de graves motifs pour négliger de les alléger. Mais prétend-on passer d’Acarnanie en Égypte avec le seul secours des rames ? C’est en Égypte que la flotte va se rendre ; ses voiles lui sont indispensables pour accomplir une si longue traversée.

La saison cependant s’avance : la mer, si l’on n’y prend garde, sera bientôt fermée ; déjà, pendant quelques jours, de grandes brises ont soufflé du large sans interruption. Le 2 septembre, le vent tombe et la mer s’aplanit. La position choisie par Antoine pour défendre l’entrée du golfe d’Ambracie était excellente. On n’arrive en effet au promontoire d’Actium que par un goulet qui n’a guère plus d’un demi-mille de large, et encore ce passage que nous désignons aujourd’hui sous le nom de détroit de Prévésa, est-il rétréci dans