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balles de foin. Il alla jeter l’ancre sous Maritime. C’était des îles Ægades la plus éloignée de Lilybée. Craignant sans doute de compromettre la garnison qu’il eût fallu y laisser, les Romains, maîtres de Favignana et de Levanzo, avaient négligé de prendre possession de cette troisième île, dans laquelle ils auraient eu peine à faire passer, le cas échéant, de prompts secours. Hannon, dès qu’il eut rassemblé sa flotte au mouillage resté libre de Maritimo, n’eut plus qu’une pensée : profiter du premier vent qui soufflerait du large pour surprendre la vigilance des Romains et pénétrer à travers leurs lignes jusqu’au camp d’Amilcar. Là il comptait alléger ses vaisseaux de leur cargaison et renforcer les équipages avec l’élite des soldats mercenaires : il serait alors en mesure de livrer bataille et de reconquérir, si le sort le favorisait, l’empire de la mer que Carthage appauvrie par les dépenses d’une guerre aussi prolongée, avait compromis en laissant peu à peu dépérir ses flottes.

L’intérêt de Lutatius était, au contraire, de combattre sur l’heure et d’arrêter les galères encore alourdies des Carthaginois au passage : il prit poste à Favignana. De cette île, la plus orientale du groupe, il surveillait à la fois Maritimo, Lilybée et Drapani. La circonstance qu’attendait Hannon ne tarda pas à se présenter ; le vent d’ouest si fréquent, on pourrait presque dire si constant en été, dans le canal de Malte, s’éleva dès le point du jour. Bientôt la brise acquit une grande violence. Les Carthaginois déployèrent leurs voiles ; Lutatius les vit s’avancer comme un de ces nuages précurseurs de l’orage qui chassent devant eux la poussière. Il douta un instant qu’il pût réussir à ranger en bataille sur cette mer tumultueuse sa flotte dont les équipages se composaient en majeure partie de soldats ; mais laisserait-il donc passer le tourbillon qui allait porter l’abondance et rendre la vigueur à un camp affamé ? Lutatius prit le parti de tenter l’aventure, espérant que le pied peu marin de ses troupes s’affermirait au moment du danger et pensant que le mal de mer lui-même a peu de prise sur des gens animés par la vue d’un ennemi qu’ils abhorrent. Il quitta l’abri de Favignana et courut se placer entre les Carthaginois et la terre. Les Carthaginois arrivaient à toutes voiles ; ils amenèrent soudain leurs antennes, et, prenant leurs rames, se préparèrent à livrer un combat dans les règles. Ce fut certainement une faute : mieux eût valu pour eux continuer de courir vers la côte à toute vitesse, dussent-ils, pour assurer le passage d’un convoi si impatiemment attendu, sacrifier la moitié de la flotte. La mêlée s’engagea ; la fortune, par un de ces caprices qui lui sont familiers, vint tout à coup au secours des Romains : le vent d’ouest tomba brusquement. Dès que le plancher redevint solide, les vaillans soldats de Rome rentrèrent en possession