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d’hoplites, perdant leur équilibre, sont tombés tout armés entre les deux carènes ! Le champ de bataille, rougi de flots de sang, se couvre en même temps de débris et offre à la fois l’aspect d’un étal de boucher et d’un vaste naufrage. Avec les galères, les combats meurtriers ont disparu ; Aboukir et Trafalgar ne seront que des escarmouches.

Démétrius a enfin réussi à rompre et à disperser l’aile droite de la flotte égyptienne : ce premier succès devient, — qui l’aurait cru ? — un succès décisif. Vainqueur à l’aile gauche, Ptolémée fait de vains efforts pour rétablir le combat. Il voit bientôt ses vaisseaux consternés chercher leur salut dans la fuite et tomber l’un après l’autre aux mains de l’ennemi. Il ne lui reste plus qu’un parti à prendre : il s’éloigne à toutes rames et parvient à gagner le port allié de Citium. Démétrius n’a pas eu vingt navires endommagés ; il s’est emparé de quarante vaisseaux longs et de cent bâtimens de transport chargés de près de 8,000 hommes. Quatre-vingts navires avariés qu’ont abandonnés leurs équipages sont remorqués par des quinquérèmes jusqu’à la plage où il a établi son camp : Salamis, atterrée, se soumet aux lois du vainqueur.

Voilà ce qu’en quelques années les Macédoniens avaient fait de la marine : un champ clos pour les hommes d’armes, une arène fermée à l’art des pilotes. La nature semblait les avoir formés pour se mesurer avec les soldats de Duilius ; ils auraient trouvé de plus dangereux adversaires dans les soldats d’Octave. Un jour vint où, maîtresse du monde, Rome put opposer aux légions montées sur ces lourdes carènes qu’avait illustrées la victoire de Salamis d’autres légions servies par des navires plus alertes. Ce jour-là on put croire que la marine athénienne allait renaître, et on l’eût vue, en effet, jeter certainement sur les mers réjouies un nouvel éclat si Octave ne fût devenu Auguste et n’eût pour la première fois et pour de longs siècles fermé les portes du temple de Janus.


III.

À Rome, vers la fin de la dernière guerre punique, tous les citoyens étaient obligés de servir dix ans dans la cavalerie ou seize ans dans l’infanterie ; ceux qui ne possédaient pas plus de 400 drachmes, — 368 francs, — on les réservait pour la marine. Il en devait être autrement quand la république mettait en action dans une seule bataille plus de cinq cents quinquérèmes montées par près de 150,000 rameurs ; il est très probable qu’on ne s’arrêtait pas alors à ces catégories injurieuses et que les flottes n’étaient pas réduites, pour former leurs équipages, à se contenter du rebut des armées :