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faute de prendre, en fait de constructions navales, l’énormité pour la force.

Ce fut encore de Sicile que vint l’exemple de ces constructions démesurées dont les quinquérèmes de Denys le Tyran avaient été le premier échelon. Hiéron II, roi de Syracuse, de l’année 269 à l’année 215 avant Jésus (christ, fit construire, nous assure un contemporain de Marc Aurèle, le grammairien Athénée, qui écrivait au IIe siècle de notre ère, sur la foi de Moschion, historien, peut-être familier à nos érudits, mais dont je n’avais pour ma part jamais entendu prononcer le nom, un navire gigantesque destiné au transport des blés. Archias de Corinthe en dressa les plans ; Archimède lui-même ne dédaigna pas d’assumer la direction supérieure des travaux. L’Etna fournit le bois, et si toute une forêt de la duchesse de Rohan disparut sous la hache des charpentiers qui firent descendre, en 1648, le vaisseau la Couronne des chantiers de La Roche Bernard, la caraque d’Archias, de son côté, absorba plus de sapins qu’il n’en eût fallu pour bâtir une flotte de 60 galères. Les cordages vinrent d’Espagne et des pays qui confinent au Rhône, on doubla la carène de feuilles de plomb et l’on fixa les bordages sur les membres avec des clous de cuivre ; 300 charpentiers travaillèrent sans relâche à l’achèvement de ce monstrueux édifice. C’était une grosse affaire que de le mettre à flot. Pour rendre l’opération moins chanceuse, on résolut de procéder au lancement du navire, aussitôt que les œuvres vives seraient terminées : il serait temps de porter la main aux œuvres mortes, quand la partie du vaisseau destinée à être immergée se trouverait solidement amarrée au milieu du port. Archimède, qui se vantait de pouvoir mettre le ciel et la terre en branle pour peu qu’on lui assurât un point fixe, se fit un jeu de conduire la gigantesque coque de la cale à la mer. Philéas de Taormine le seconda dans cette entreprise, et le lancement eut lieu avec un plein succès. Moschion nous affirme qu’il fallut requérir peu de bras pour accomplir ce délicat prodige de mécanique.

Le navire d’Archias avait quatre mâts. Le beaupré, le mât d’artimon et le mât de misaine se trouvèrent sans peine en Sicile ; on dut aller chercher le grand mât dans les montagnes du Bruttium, où un porcher fit la découverte d’un arbre assez gros pour satisfaire au vœu des ingénieurs. Ainsi préparé à marcher à la voile, l’Alexandrin, — car tel fut le nom que reçut la caraque quand on eut décidé son départ pour l’Egypte, — n’en était pas moins avant tout un navire à rames. On lui donna trois ponts étages l’un au-dessus de l’autre : le pont inférieur recouvrait le lest et la cargaison ; on le destina au logement des soldats ; sur le second pont, une double rangée de chambres, occupant tout l’espace compris entre la coursie