bien des points, on ne lui refusera pas d’être par excellence le peintre de l’oriental : il a dérobé au sphinx ses plus intimes secrets. Regardez ce tarbé où des imams prient autour des tombes, et dix autres tableaux semblables ; la vérité locale n’est pas due à telles prodigalités de palette, qui semblent au vulgaire le dernier mot de l’orientalisme ; ce qu’il y a de vrai, de profondément vrai là dedans, c’est le calme immuable, la dignité et le fatalisme de l’Asie musulmane. C’est la nudité et le silence sévère de la mosquée. Le dessin est exact, non point, cela se devine, par suite d’études patientes, mais par le don d’une précision innée dans l’œil du peintre ; la couleur est sobre, seulement suffisante ; comme tout le côté technique de l’art, elle est pour M. Véreschaguine non un but, mais un instrument.
Il la trouve pourtant, quand elle lui est nécessaire, comme dans son album des Indes. C’est un nouveau monde barbare et inconnu qui nous est révélé, après celui de l’Asie centrale, par l’intrépide explorateur. On a beaucoup discuté ces petites études de monumens et de types que M. Véreschaguine a rapportées du Népaul ; à propos de cette peinture sèche et plate, on a parlé de photographie coloriée. Peut-être y a-t-il un peu de photographie dans cette façon de fixer les notes sur son carnet de voyage sans leur faire subir aucun arrangement, en tout cas, une photographie intelligente et habile. On reproche à ces études leur crudité, leur monotonie, l’immobilité des lumières et des ombres ; je ne connais pas l’Inde, les propriétés de la lumière sont si changeâmes suivant les latitudes qu’il y a sottise à en juger quand on n’a pas vécu là où le peintre nous transporte ; je sais seulement que l’Orient n’est ni remuant ni gai, qu’il est immobile et triste. Je crois que cet arrêt de la vie, dont les toiles de M. Véreschaguine nous donnent la sensation, a de grandes chances d’être la note juste, à midi, sous le tropique. Outre ces croquis, l’artiste a rapporté de grands tableaux, de trop grands même ; l’Entrée du prince de Galles est un portant qui pourrait servir de toile de fond à un théâtre ; les éléphans y ont presque leur taille naturelle : c’est une tentative malheureuse ; le peintre le plus fécond ne brossera jamais qu’un décor dans de pareilles dimensions. En revanche, admirons sans réserves la Prière à la mosquée, ce large parvis de marbre blanc où un croyant attend ses frères, prosternés là-bas près du Mirhâh et vus de dos ; si l’on plaçait cette œuvre au Luxembourg, à côté de l’Exécution à Tanger de Regnault, un jury serait sans doute fort embarrassé pour décerner le prix entre ces deux évocations de l’Orient. Arrêtons-nous encore devant cette Nuit dans la vallée de Cachemire : une ville dort au bord de l’eau ; les indications matérielles sont aussi restreintes que possible, des silhouettes