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Il faut avoir le courage d’accepter les conséquences de la politique à laquelle on semble se rallier, — et, à ne prendre qu’une question qui paraît destinée à être le principal objet des discussions des chambres dans cette session extraordinaire, M. le président du conseil, l’auteur du récent programme ministériel, peut s’interroger lui-même : croit-il prévenir ou atténuer les dangers évidens de la situation financière en laissant un collègue assez inexpérimenté revenir sur des combinaisons acceptées, livrer aux chambres un budget revu et corrigé, pour désarmer quelques hostilités de parti ?

Que cette situation financière, sur laquelle la chambre a déjà longuement discuté et discute encore, qui sera probablement d’ici à peu dans le sénat l’objet d’un examen plus attentif et plus approfondi, que cette situation en soit venue par degrés à n’être pas sans danger, c’est désormais un fait avéré. Elle s’est aggravée, non parce qu’il y a eu de ces contretemps qui déjouent toutes les prévisions, ou parce que la France a cessé d’être industrieuse et active, mais parce qu’on a abusé de toutes les ressources pour suffire à des fantaisies de domination, dans un intérêt de parti. On a abusé de tout, de la prospérité même dont les plus-values d’impôts paraissaient être l’expression du crédit, de la libéralité du pays, prodigue de ses dons, de la facilité des chambres, toujours promptes à voter ce qui sert leurs préjugés et leurs passions.

Parce qu’il y avait des plus-values, des excédens de recettes, on s’est cru autorisé à multiplier les dépenses, à créer des listes civiles pour des clientèles de nouveaux pensionnaires, à augmenter les dotations, à disposer sans compter des budgets de l’état et des communes, à répandre les millions sous toutes les formes. Parce que les travaux des ports, des chemins de fer, des canaux sont certainement utiles, on n’a trouvé rien de mieux, pour aller plus vite, que de rouvrir le grand-livre, d’ajouter aux dettes tristement inévitables de la guerre les dettes de la paix. On a imaginé un gigantesque programme qui devait être un danger ou une déception. Un homme qui est depuis longtemps mêlé à ces affaires de chemins de fer, qui a été sous-secrétaire d’état dans le ministère de M. Gambetta, et qui ne peut être soupçonné de vouloir trahir la politique républicaine, faisait récemment à ses électeurs la confidence que le « fameux plan, » tel qu’il a été mis en pratique, n’a servi qu’à satisfaire des appétits locaux, des intérêts d’élection et à s’assurer une majorité dans la chambre. Voilà qui est un aveu singulier ! L’auteur de ces révélations exagérait probablement un peu, dans une intention d’hostilité rétrospective contre M. de Freycinet. Il n’est pas moins vrai que, pour des travaux qui ont sans doute leur utilité, mais dont l’exécution devrait toujours être mesurée à l’état des ressources publiques, on s’est jeté tête baissée dans la voie aventureuse des emprunts ; on a fait exactement le contraire de ce que font les