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ces comparaisons, dont peut-être on abuse, entre Catulle et quelqu’un de nos poètes modernes, André Chénier, par exemple, ou Alfred de Musset ? André Chénier, passe encore, mais Alfred de Musset ! « Je suis content que vous fassiez cas d’Alfred de Musset, écrivait un jour Mérimée à son inconnue, et vous avez raison de le comparer à Catulle ; mais Catulle écrivait mieux sa langue. » M. Rostand a pris trop au sérieux cette boutade de Mérimée ; il en a même tiré un parallèle dans les formes entre Catulle et Musset. Sans doute, si Mérimée voulait dire que Catulle savait mieux que Musset les raisons démonstratives de ses propres beautés, il disait vrai, parce qu’à Rome, un poète était toujours plus ou moins un grammairien, les études grammaticales y ayant toujours été le fondement et le support du développement littéraire. Mais au reste, et tout dégagé qu’il fût, ou qu’il se crût, de toute espèce de préjugés, je ne craindrai pas de dire qu’à parler ainsi de Catulle il y mettait quelque chose de cette superstition que l’on professe parfois pour les anciens. Que Catulle soit un vrai poète, ce serait blasphémer que d’y contredire, mais Musset est un grand poète, — et, quoi qu’en ait dit Sainte-Beuve, dont on doit se souvenir toujours qu’il n’a jamais pu prendre sur lui de rendre pleinement justice à Musset, — la comparaison n’est pas plus exacte entre Catulle et Musset qu’elle ne le serait, — toutes proportions gardées et toutes compensations faites, — entre Térence et Molière. Tenons-nous-en à André Chénier.

Nous aurions voulu pouvoir trouver la traduction de M. Rostand meilleure, et non pas plus exacte, nous avons dit qu’elle l’était, mais au contraire plus libre, l’exactitude, en pareille occurrence, ou plutôt, selon le mot de M. Rostand, la littéralité, risquant fort d’être la pire infidélité. La tentative n’en fait pas pour cela moins d’honneur à M. Rostand. C’est qu’en effet il y a là une question d’exécution qui n’est rien, et une question de principe qui est tout. M. Rostand croit que c’est en vers qu’il faut traduire un poète, et nous croyons au contraire, pour nous, que c’est en prose : le lecteur jugera. Car nous ne voudrions détourner personne de lire ou de relire Catulle, à cette occasion. La biographie du poète que M. Rostand a mise en tête du volume est des plus intéressantes ; nous avons essayé de donner une rapide et trop brève idée de l’intérêt du commentaire ; on a toutes raisons da croire que le texte est le meilleur qu’il y ait dans l’état présent de la science philologique ; et puisque la traduction enfin en serait excellente si elle était en prose, » — il est facile de l’y mettre.

F. Brunetière.