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Nul vigneron n’en a souci.
Nul seigneur ne s’y plaît aussi.
Mais quand sur une belle treille,
Le maître la fait redresser,
Un ombrage frais à merveille
Alentour elle vient pousser.

Si je ne craignais d’effaroucher le lecteur, je rappellerais encore la pièce bien connue :

Vivamis, mea Lesbia, atque amemus…,

dont aucun traducteur certainement, s’il a rendu peut-être plus exactement les mots, n’a mieux reproduit l’ardeur sensuelle et le mouvement passionné que Louise Labé, la Belle Cordière, dans son dix-huitième sonnet. Mais on me permettra de donner l’imitation, moins connue, qu’un poète de la fin du XVIe siècle a faite de la pièce :

Quæris, quot mihi basiationes…

C’est le précurseur de Boileau, Vauquelin de la Fresnaye :

Vivons, aimons-nous, belle Iole,
Comme un oiseau le temps s’envole.
..............
Baisons-nous donc, et que le compte
De nos baisers ardens surmonte
Les grains du sable de la mer,
Et qu’aucun n’en puisse estimer
Le nombre, s’il ne compte encore
Combien la nuit, jusqu’à l’aurore,
Il luit d’étoiles par les cieux.

Quiconque prendra la peine de se reporter de ces traductions à l’original latin s’apercevra immédiatement qu’elles doivent ce qu’elles ont de valeur à la liberté même dont les imitateurs ont traité leur modèle. Mais ce n’est pas tout, et indépendamment de cette condition générale, qui peut-être s’impose à toute bonne traduction, on peut déterminer à quelles conditions particulières il est permis utilement de traduire en vers un vrai poète.

Littré en avait deviné quelque chose quand ici même il traduisait en vieux français le premier chant de l’Iliade, et plus tard, dans cette même langue du moyen âge, l’Enfer tout entier de Dante. Il faut à la traduction des poètes un état général des mœurs et une forme de la société, sinon tout à fait semblable, au moins analogue, à la forme de