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pour cinquante ans, et il a encore vingt-trois ans à courir. Ce traité, personne n’a songé à le violer. La ville de Paris ne veut et ne peut rien retirer des engagemens qu’elle a pris. Et peu importe que les paroles aient été données sous la république ou sous l’empire, par des conseils élus ou par des commissions administratives. De tels précédens amèneraient des contestations sur la moitié des propriétés de Paris, soit particulières, soir même municipales.

Au surplus, le conseil municipal actuel, il faut le dire à son honneur, connaît trop bien les affaires de la ville pour croire, en matière de propriété et de contrats, à la possibilité de mesures révolutionnaires. Cette assemblée s’est fait une réputation de violence, surtout par son intolérance religieuse et son athéisme vraiment fanatique. Mais, lorsque ni l’église ni la mairie de Paris ne sont en cause, le conseil est prudent, laborieux, quelquefois timide. Les discussions sont prolongées, souvent intéressantes, les ajournemens sont fréquens. La majorité se montre hésitante devant les vastes travaux que M. Alphand voudrait entreprendre, et auxquels M. Floquet, nous le pensons, aurait aimé à attacher son nom. Les Parisiens attendront sans doute quelque temps encore l’achèvement du boulevard Haussmann, et pendant quelques étés ils pourront manquer d’eau. Du moins, les finances de la ville, sagement administrées, ne courront pas d’aventures.

Un observateur spirituel, qui connaît bien le conseil et l’estime beaucoup, me disait un jour : « Ces révolutionnaires sont plus bourgeois qu’on ne pense : Haussmann l’était moins qu’eue. » Je puis répéter le mot, qui n’a rien de désobligeant sous ma plume. Il est malaisé de devenir bourgeois ; il est plus difficile de cesser de l’être quand on l’est de naissance ; il faut reconnaître seulement que, si Molière revenait au monde, il écrirait probablement : le Bourgeois sans-culotte. Ne devient pas prolétaire qui veut.

Quitte à être appelé bourgeois, le conseil municipal ne viole point les traités et prétend respecter la parole donnée, même aux actionnaires du gaz. Toute la question est de savoir si le traité ne prévoyait pas un abaissement du prix et si les conditions de cet abaissement ne sont pas réalisées. Le droit de la ville reconnu, l’administration municipale pourra soit en demander strictement l’exécution, soit transiger avec la compagnie.


II

Suivant nous, le droit est fort clair. Le traité de 1855 imposait à la compagnie deux charges principales. La première était de fournir du gaz à la consommation parisienne, quelles qu’en pussent devenir les exigences. L’insuffisance de la production amènerait la