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à la portée, mais selon l’ancienne expression, à la « miséricorde » des canons, c’est-à-dire à la distance où nul coup n’est tiré sans atteindre et où nul n’atteint sans pénétrer. Cette condition est réalisée quand la route s’ouvre entre des pièces puissantes qui croisent à 200 mètres leur feu sur les navires. La largeur des passes est ainsi fixée à 400 mètres. La nature a donné cette dimension à quelques-unes, mais, d’ordinaire, celles qui ouvrent accès dans de grandes rades sont plus étendues, et pour les rétrécir il faut des digues. Les profondeurs, les courans, et surtout le danger de changer les fonds, rendent ce travail fort difficile sans le rendre moins nécessaire. Quand la disposition des côtes permet de fermer ainsi l’entrée des rades à plus de 9,000 mètres en avant des ports, les établissemens et les navires sont à couvert contre les attaques de près et de loin : le maximum de sécurité est obtenu. Quand il n’est pas possible de l’assurer à cette distance, elle doit être cherchée sur quelque point en arrière ; en ce cas, toute crainte de bombardement n’est pas écartée, mais, du moins, les escadres n’ont pas à craindre les irruptions subites de l’adversaire.

Le refuge interdit à l’ennemi doit toujours être ouvert aux navires de la nation. Ils arrivent du large fuyant soit la tempête, soit un vainqueur, ou se tiennent prêts derrière les défenses à prendre l’offensive. S’il leur faut attendre, pour entrer et sortir, l’heure et le jour de la marée propice, la valeur militaire de la rade disparaît. Le libre passage en tout temps de la rade au port n’est guère de moindre importance. Le bâtiment revient parfois de la mer avec des avaries qui exigent les soins immédiats de l’arsenal : le bâtiment, encore amarré dans le port, mais prêt pour la mer, peut être appelé à un rôle soudain. Ici l’emploi de l’instrument de guerre, là sa conservation, sont attachés à la continuité des communications entre la rade et le port. Cette condition nécessaire manque aux rades et aux ports s’ils ne présentent des passes toujours praticables à une profondeur de 10 mètres au moment des plus basses mers.

L’accès du port n’est utile que si le port est organisé, c’est-à-dire capable au moins d’entretenir l’instrument de guerre, et l’entretien comprend à la fois l’armement et la réparation. Le port est organisé, non s’il accomplit ce double service, mais s’il l’accomplit sans retards. Depuis que la guerre maritime a emprunté à la guerre terrestre ses procédés, sa précision, elle est une lutte de vitesse. Comme le moteur est mécanique, ni la vigueur ni l’entrain du personnel ne peuvent détruire l’égalité de marche qui s’établit entre les flottes rivales dès qu’elles prennent la mer. L’avance ne peut résulter que de la promptitude supérieure mise par un des belligérans à passer du pied de paix au pied de guerre. Il y a donc plus d’intérêt encore dans une guerre maritime que dans une