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LE VATICAN ET LE QUIRINAL DEPUIS 1878.

des pouvoirs civils et de la masse des fidèles, que Léon XIII s’en est le plus délibérément écarté ou qu’il a manifesté le plus d’exigences. D’où vient ce contraste entre la condescendance du pape en dehors de la péninsule et sa raideur à Rome ? Pourquoi faut-il dire : Vérité au-delà des Alpes, erreur en-deçà ? C’est qu’en Italie la monarchie unitaire s’est faite aux dépens des états de l’église, et le pape, qui vit en paix avec les républiques les moins cléricales, ne veut point d’accommodement avec la dynastie installée dans son palais du Quirinal.

Le plan de Léon XIII, en ceignant la tiare, semble avoir été de signer la paix avec les autres gouvernemens, de s’en faire si possible des amis ou des alliés, pour concentrer tous ses efforts sur l’Italie et peser de tout le poids de la chrétienté sur elle. Dans la liquidation de la succession de Pie IX, Léon XIII aurait voulu s’arranger à l’amiable avec les débiteurs étrangers, pour être mieux à même de faire valoir ses droits sur l’antique héritage du saint-siège et revendiquer la propriété de la maison où il habite. Au milieu de toutes les difficultés où se trouve engagée l’église sur tant de points du globe, la question capitale pour le Vatican, celle qui toujours prime les autres, c’est la question romaine, c’est celle de sa demeure, de sa vie domestique. Et l’on ne saurait s’en étonner ; ce qui est en jeu au-delà des Alpes, en Allemagne, en France, en Suisse, en Belgique, en Irlande, en Pologne, c’est bien l’église catholique, mais ce n’est qu’une partie, qu’un membre de l’église. À Rome, au contraire, ce qui est en jeu, c’est la papauté même, c’est-à-dire la tête et le cœur du catholicisme. Une seule chose peut surprendre, c’est la décision et l’insistance avec laquelle un homme qui pèse ses paroles comme Léon XIII se plaît à proclamer et à répéter solennellement que la situation actuelle du saint-siège est intolérable. C’est là un grand mot qui semble devoir engager à de grandes résolutions. Le sort du saint-siège, depuis 1870, depuis la mort de Pie IX surtout, est-il aussi pénible et précaire que persiste à l’affirmer le saint-père ? Quels sont les motifs de ses doléances, quels sont ses espérances et ses calculs, quels sont les sentimens de ses amis et de ses adversaires ? de quelle manière peut se dénouer ce problème que le Vatican se refuse à considérer comme résolu ? Ce sont là des questions qu’on ne peut trancher sans jeter un coup d’œil sur les conditions de l’Italie actuelle et de la monarchie de Savoie, sans voir ce que la papauté et la royauté peuvent craindre ou espérer l’une de l’autre.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.