Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent plus exigeans, plus belliqueux ou opiniâtres que leur chef nominal ; ils ne se résignent pas toujours à déposer les armes ou à rester sur la défensive pour servir les combinaisons du Fabius Cunctator du Vatican.

La Belgique, un des pays que l’on se plaisait à regarder comme un fief du saint-siège, a infligé au successeur de Pie IX une défaite pénible. Les conseils de Léon XIII, en cela d’accord avec les plus sages des parlementaires catholiques, n’ont pu triompher des répugnances de l’archevêque de Malines et de ses suffragans. Tous les efforts du pape pour atténuer, aux yeux du cabinet de Bruxelles, les exigences d’un épiscopat qu’il ne pouvait désavouer, n’ont réussi qu’à le faire accuser d’intrigue et de duplicité. Une partie des libéraux a fait un crime au vicaire du Christ de recourir, comme un prince de ce monde, aux artifices de la diplomatie, tandis que ses naturels auxiliaires, les évêques, les professeurs de Louvain, le clergé, s’employaient plus ou moins sciemment à déjouer sa politique. Jusqu’au Vatican, dans l’entourage même du souverain pontife, nombre des habitans du palais apostolique se sont presque ouvertement réjouis de l’échec de Léon XIII et du cardinal Nina comme d’une démonstration de l’inanité de la politique de transaction.

La rupture diplomatique du saint-siège et du noble petit royaume qui semblait destiné à montrer que le catholicisme et la liberté politique n’ont rien d’incompatible, a peut-être été le plus grand déboire de Léon XIII. La suppression de l’ambassade de Belgique lui a été d’autant plus pénible qu’elle a été déterminée par les témérités de l’épiscopat et qu’il avait lui-même occupé jadis la nonciature de Bruxelles. C’est même dans ce pays parlementaire par excellence, à l’école du roi Léopold, que Léon XIII semble avoir fait son apprentissage politique.

Ce qui, pour le pape, rendait cette mésaventure de sa diplomatie encore plus sensible, c’est qu’elle portait un coup à tous ses plans et à tous ses calculs, à ce qu’on pourrait appeler son système. Léon XIII, depuis son avènement, n’a jamais caché son désir de renouer avec les gouvernemens des rapports officiels ou officieux. Faute de ministres attitrés de l’hérétique Angleterre ou de la Russie, schismatique, il a été heureux de voir gravir les hauts escaliers du Vatican aux envoyés plus ou moins avoués du tsar ou de M. Gladstone. Dans ses négociations avec les différens états, il ne paraît pas avoir eu seulement en vue les intérêts de l’église en tel ou tel pays, mais d’abord et avant tout l’intérêt du chef de la catholicité, de la curie romaine. Léon XIII semble avoir eu pour premier objectif de faire sortir le saint-siège de l’espèce d’isolement où l’avait fait tomber la politique à outrance de Pie IX. Ce souci perce dans