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L’EXPOSITION DE MOSCOU
ET
L’ART RUSSE

Décidément, la vie est un voyage en terre de surprises. On lit dans des gazettes qui n’ont jamais menti que la Russie agonise en d’atroces convulsions ; on y vient voir : on trouve une grande exposition nationale, une de ces consultations décisives où un pays s’interroge sur sa force, sur les pas qu’il a faits dans le rude chemin du travail. Sans doute, l’exposition de Moscou s’est ressentie des calamités publiques ; elle était préparée pour le printemps de 1881 ; peu de temps avant le jour fixé pour l’ouverture, le malheureux souverain qui devait l’inaugurer tombait ensanglanté sur le canal Catherine ; la Russie prenait le deuil, il fallait remettre. Cette année encore, les gens craintifs se demandaient s’il n’était pas plus sage d’abandonner une entreprise contrariée par tant d’angoisses ; on a bravement passé outre, on a ouvert à petit bruit, à trop petit bruit. Notre siècle n’a ni le goût ni le loisir de chercher les violettes ; quand on veut capter son attention, même pour le meilleur motif, il faut tout d’abord faire emplette d’une grosse caisse. Les Moscovites n’ont pas manié la réclame avec une vigueur assez américaine : aussi leur exposition n’est-elle pas précisément assiégée ; à l’intérieur, elle se heurte à cette indifférence magnanime, à cette somnolence qui est le trait caractéristique de la masse du peuple ; à l’étranger, la Russie n’est pas un but de voyage à la mode