Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa parole ardente et des ; éclats d’une voix dont l’âge ne pouvait altérer le timbre. À ces bruyantes et fatigantes réceptions, Léon XIII, par politique comme par besoin de recueillement, préfère le silence du cabinet et le travail solitaire. Par système ainsi que par tempérament, il aime moins à parler qu’à écrire. Pie IX était orateur, plein d’une naturelle et impétueuse éloquence, doué d’une voix d’une admirable sonorité, habile à l’improvisation, n’en redoutant ni les entraînemens ni les perfides interprétations, Léon XIII est un écrivain qui aime à méditer ses pensées, à pondérer son langage. Avant tout, épris de la mesure, il ne livre rien au hasard de l’inspiration. Est-il obligé de parler aux pèlerins dont il doit parfois satisfaire l’indiscrète piété et auxquels il ne peut toujours refuser le spectacle d’une audience solennelle, il le fait brièvement, souvent en latin, non par goût de docteur ou d’humaniste, mais parce qu’une langue morte tempère la chaleur du langage, en amortit les aspérités, donne à toutes les revendications quelque chose de plus calme et comme d’hiératique. Depuis le XVIIIe siècle, depuis Benoît XIV et Clément XIV, Rome n’avait pas vu un pape aussi cultivé, aussi versé, non-seulement dans les sciences ecclésiastiques, mais dans les lettres classiques et les littératures vivantes. Théologien et philosophe, fort épris de la scolastique et de saint Thomas, il n’est ni dédaigneux de la poésie et du beau langage, ni étranger aux études profanes ou aux sciences modernes. Selon la tradition du dernier siècle qui s’est survécu en Italie, il a été poète à ses heures, poète latin et italien ; mais, en même temps, il lit nos publicistes, il les a suivis dans le champ ingrat de l’économie politique, et, en ses mandemens d’évêque, il ne craignait pas de citer les revues françaises[1]. On loue le langage toscan et la plume latine de Léon XIIÏ. À l’inverse de la plupart de ses prédécesseurs, de Pie IX notamment, qui n’écrivait point et ne lisait guère, Léon XIII aime à rédiger lui-même ses encycliques. Aussi croit-on, à travers la banalité des formules traditionnelles, y sentir un accent plus personnel que dans la plupart des écrits scellés des bulles romaines.

Esprit, goûts, habitudes, qualités spontanées ou acquises, il serait malaisé de trouver deux hommes plus différens que ces deux pontifes, dont chez tant de fidèles les portraits se font pendant. Chez l’un, tout semblait de premier mouvement ; chez l’autre, tout est réflexion ; le premier était tout expansion, le second paraît toute réserve ; celui-là était pour ainsi dire tout en dehors, celui-ci est tout en dedans. On dirait qu’en les appelant à se succéder, la

  1. La Revue des Deux Mondes particulièrement. Voyez, par exemple, le mandement du carême de 1877.