eux-mêmes. En un mot, ce sont des manœuvres, ce ne sont pas des colons, et c’est de colons que la Californie a besoin. Conséquence fatale, sa population est loin d’augmenter aussi rapidement que celle des autres états de l’Union ; elle demeure presque stationnaire avec sept cent mille habitans pour un territoire grand comme la France, et c’est là un symptôme très grave aux yeux des Américains, d’après l’estimation desquels un état dont la population ne croît pas serait semblable à un enfant en nourrice qui n’augmenterait pas de poids. Mon hôte en arrive donc à conclure que la présence des Chinois est une entrave à la prospérité de la Californie et il appelle de tous ses vœux un bill du congrès qui restreindrait ou prohiberait leur importation.
Depuis mon départ, satisfaction a été donnée à ce vœu, je dois le dire, unanime des Californiens. Mais, sans me mêler de prophétiser sur des matières que je connais à peine, je crains qu’ils ne finissent par s’en trouver mal. C’est grâce au concours des Chinois que, dans un petit nombre d’années, des travaux indispensables au développement et à la prospérité de la Californie ont pu être menés à bonne fin et que d’autres sont en voie de construction. Si l’on enlève à ces grandes entreprises de travaux publics ces ouvriers patiens, laborieux, infatigables, leur achèvement sera retardé d’autant, peut-être indéfiniment ajourné, et la Californie en souffrira toute la première. Bien plus, si, non content de restreindre l’importation des Chinois, on va jusqu’à la supprimer, il se produira en Californie une hausse de la main-d’œuvre qui prendra peut-être les proportions d’une véritable crise. Il faudra, en effet, un temps assez long avant que le courant d’émigration allemand ou irlandais se porte de ce côté, et jusqu’à ce que ce courant soit régulièrement établi, la vie ne sera pas facile en Californie. Elle deviendrait même impossible si, par représailles, les Chinois déjà établis dans le pays abandonnaient cette terre ingrate, et il n’y aurait plus moyen de se faire blanchir une chemise à San-Francisco. Je crois donc qu’à tout prendre, la Californie ferait bien de conserver ses Chinois, sans méconnaître la difficulté que constitue pour elle, au sein d’une population qui ne vaut déjà pas grand’chose par elle-même, l’existence d’une nation à part, conservant sa langue, ses mœurs et absolument réfractaire, malgré tous les efforts qui ont été faits pour l’y convertir, à la civilisation chrétienne. Mais je ne puis amener mon hôte à ce point de vue et nous nous quittons, affermis chacun dans notre sentiment. À quoi serviraient sans cela les discussions ?
Je passe la journée du lendemain à me promener un peu au hasard dans la ville. Je monte au sommet d’une de ces collines sablonneuses sur lesquelles la ville est étagée, pour embrasser encore